Scènes

Festen à Saint-Malo

Le quartet Festen a présenté en avant-première son nouvel album à Saint-Malo.


Quatre garçons dans le vent de Saint-Malo. Les musiciens de Festen sont venus présenter en avant-première leur troisième album, Mad System, au Théâtre Chateaubriand. Un concert comme à la maison ou presque pour une démonstration réussie : ce quartet solidaire est en route vers de belles aventures.

Damien Fleau © Jean-Pierre Fleau

Samedi 16 avril 2016. Il est des signes qui ne trompent pas. Dès le milieu de l’après-midi, un franc soleil a ravivé les couleurs du ciel de Saint-Malo, histoire de mieux faire la fête à quatre garçons rassemblés sous la bannière Festen. Les affiches dans les rues l’annoncent : ils sont venus présenter en avant-première au Théâtre Chateaubriand leur troisième album, Mad System. Un disque tout récemment salué dans les colonnes de Citizen Jazz en raison de ses vertus énergétiques et de son alliance sans complexe de formes qui doivent tout autant au rock qu’au jazz. Damien Fleau (saxophone), Jean Kapsa (piano), Oliver Degabriele (basse) et Maxime Fleau (batterie) n’ont que faire des définitions et des catégories : ils avancent dans leur musique avec un aplomb qui témoigne de la vitalité des trentenaires qu’ils sont. Une équipe solidaire qui en croise une autre sur son chemin, puisque le pianiste et le batteur, associés au contrebassiste Antoine Reininger, forment un trio dont la dernière production discographique, La ligne de Kármán, a elle aussi été « élue » ici-même. Festen est une quarte très particulière où les égos surdimensionnés n’auraient pas leur place : le groupe se veut un collectif, il joue dense et sans détour. Les interventions des solistes restent l’exception et lorsqu’un des musiciens s’échappe dans un chorus, c’est en général pour mieux en appeler aux forces vives qui l’entourent et à la puissance de l’ensemble.

Intra-muros… Le Théâtre Chateaubriand est niché au cœur de la vieille ville, non loin des remparts qui contemplent la Manche. Une salle un peu désuète mais chaleureuse, dont les quelque trois cents places bénéficient d’une bonne acoustique et d’un confort à même de satisfaire les différentes générations qui s’y retrouvent. Car ce qui frappe au premier regard, c’est la diversité du public. On devine des amis, des parents mais aussi des habitués d’un lieu fréquenté parce qu’il est une source d’animation essentielle à une ville de taille moyenne (Saint-Malo compte environ 45000 habitants). Alors, qu’on connaisse Festen de près, de loin ou pas du tout, on vient parce que les occasions d’une évasion par la musique ou le théâtre sont toujours bonnes à prendre. Certes, on note quelques places disponibles, mais la salle est bien remplie, au grand plaisir des organisateurs bien sûr (l’association La Fabrique à Concert), mais aussi et surtout des musiciens qui cachent difficilement leur émotion. Il faut dire aussi que deux d’entre eux, les frères Fleau, sont les « régionaux de l’étape » puisque malouins depuis leur enfance. Un petit détail qui a son importance et peut expliquer le caractère particulier de l’avant-première de leur Mad System. Un événement dans l’événement, qui se poursuivra deux jours plus tard au Studio de l’Ermitage avec comme invitée la chanteuse Isabel Sörling (qui évolue notamment au sein du Cabaret Contemporain ou dans le quartet de la trompettiste Airelle Besson), histoire de mieux fêter encore la sortie du disque.

Jean Kapsa © Jean-Pierre Fleau

Une grande partie du nouveau disque sera passée en revue, avec quelques incursions vers les albums précédents (« Alone With The Driver », « Fairbanks »), ou encore l’interprétation de « Shadow Boxing » jamais gravé mais découvert à l’occasion d’un clip vidéo qu’on peut visionner sur le site de Festen. D’emblée, le groupe séduit par la force condensée de sa musique : les compositions sont assez courtes et leur compacité est soulignée par une cellule rythmique en grande forme. Le jeu de Maxime Fleau est porteur d’une frénésie contagieuse qui trouve un appui précieux en Oliver Degabriele, qui a désormais troqué sa contrebasse contre une basse électrique. Ce changement est essentiel en ce qu’il définit, plus encore que sur le disque, l’identité rock du quartet. À droite de la scène, cette paire endiablée fait parler la poudre et semble défier en toute amitié ses deux autres complices. Damien Fleau, qui joue presque exclusivement du ténor (sauf sur « Fairbanks » joué au soprano), a le répondant nécessaire et délivre un jeu à la fois puissant, intériorisé et mélodique (c’est en général lui qui expose les thèmes). Plus singulier est Jean Kapsa : le pianiste est en effet capable de marteler comme un possédé les touches de son instrument tout comme de suspendre le temps en effleurant à peine un clavier qu’il paraît subitement hésiter à toucher. Il y a chez lui un étonnant romantisme convulsif, tout autant inspiré par Brad Mehldau ou Esbjörn Svensson que par Philip Glass - qui contribue beaucoup à l’élaboration de ce clair-obscur permanent qu’est l’univers de Festen. Comme un combat de boxe, avec les temps de pause et de respiration qu’il requiert. Les musiciens définissent leur musique comme « cinématique » en ce qu’elle projette de nombreuses images et parce que tous les quatre sont des amoureux du cinéma. Ce n’est pas sans raison que le concert s’est ouvert avec « Day One » du film Interstellar et a eu pour conclusion « L’Arena » d’Ennio Morricone. Aucun doute : pendant près de 90 minutes intenses, Festen a écrit de belles pages d’histoires, dont l’une des plus saisissantes est « We Are », inspirée par les attentats de novembre 2015. Après la sidération, il fallait que les musiciens adressent un message d’espoir, parce que la vie doit bien continuer. « We Are », c’est d’abord une mélodie simple et émouvante qui devient petit à petit un cri et une exultation, comme un défi poing levé lancé aux ennemis de la liberté.

Fin du concert. On retrouve les musiciens affairés à dédicacer leur disque qui arbore fièrement son autocollant « Élu Citizen Jazz ». Il faut que la fête dure encore un peu, que s’échangent des sourires chargés d’une véritable émotion. Festen va continuer sa route, on la lui souhaite longue et pleine d’aventures et de visions panoramiques à partager avec son public.