Chronique

François Jeanneau & Uli Lenz

Art Of The Duo : Les danses de Vulcain

François Jeanneau (ss), Uli Lenz (p).

Label / Distribution : Tutu Records

Il faut remercier le Goethe-Institut d’avoir su provoquer la rencontre entre le Berlinois Uli Lenz et le Français François Jeanneau. Car c’est à l’instigation de l’organisation allemande que le pianiste a contacté le saxophoniste et qu’après un échange de courriels et de partitions, tous deux se sont retrouvés embarqués – c’est le cas de le dire puisqu’ils se sont rencontrés pour la première fois à l’aéroport de Francfort juste avant leur départ pour le Pakistan – dans une aventure qui les a d’abord conduits à Karachi puis dans une tournée riche en musique. Celle-ci aura donné vie à une association des plus créatives, non seulement de par la complicité des deux musiciens qui s’est avérée immédiate, mais aussi par la réalisation d’un premier disque publié en 2008, Art Of The Duo : Walking in the Wind - Live at a-Trane, Berlin.

Trois ans plus tard, le 23 novembre 2011 très exactement, on retrouve les deux hommes, devenus amis, dans le cadre de la Haus der Musik, à Berlin une fois encore. François Jeanneau ne quitte pas son instrument de prédilection, le saxophone soprano, et donne la réplique à un Uli Lenz épris comme lui d’une liberté à laquelle tous deux vont se cramponner durant les 70 minutes que durent Les danses de Vulcain, surtitré Art Of The Duo comme son prédécesseur. On peut certes trouver dans leur association une filiation avec d’autres duos, tel celui de Mal Waldron et Steve Lacy, des maîtres à jouer dont l’un et l’autre ne renieront pas l’influence déterminante. L’essentiel est néanmoins ailleurs que dans un exercice de paternité dont l’intérêt documentaire est indéniable, mais qui ne doit pas exempter d’un constat immédiat : celui de la jubilation intense qu’exhale la rencontre entre les deux musiciens. En effet, Uli Lenz et François Jeanneau viennent rappeler, avec beaucoup d’à-propos, ce qu’est le jazz au plus profond de lui-même : une conversation de l’instant, dans laquelle chaque phrase est rebondissement, loin de toute velléité de bavardage. Le saxophoniste et le pianiste mettent l’imagination au pouvoir sans jamais se départir d’une nécessité mélodique et rythmique. Leurs notes sont des éclats. À eux deux, sans le moindre artifice, ils forment un orchestre. Les onze compositions, toutes signées de l’un ou de l’autre (à l’exception du savoureux « Maghreb de canard » emprunté à l’album Akagera du trio Humair-Jeanneau-Texier) défilent dans un discret balancement, celui d’un swing libéré de toute entrave auquel s’abandonnent deux artistes qui paraissent n’avoir rien d’autre à prouver que leur besoin d’échange. Il suffit, pour comprendre de quoi il retourne dans ce disque scintillant, d’écouter la belle « Savanna Valse » et ses réminiscences lointaines d’une autre valse célèbre, celle qu’avait entamée John Coltrane au mois d’octobre 1960 en reprenant à son compte « My Favorite Things ». Le même plaisir…

Publié sur le label Tutu Records, Les danses de Vulcain fait l’objet d’une diffusion malheureusement confidentielle. Il vous faudra passer par les méandres d’un import japonais après quelques pérégrinations sur la Toile pour vous le procurer : on ne peut que regretter la confidentialité ainsi imposée à une conversation aussi riche, réduite à l’état de confidence alors qu’elle aurait plutôt mérité un porte-voix.