Chronique

Grégory Privat

Tales Of Cyparis

Grégory Privat (piano, Rhodes, Wurlitzer), Manu Codjia (g), Jiri Slavik (b), Arnaud Dolmen (ka), Sonny Troupé (dms, ka), Adriano Tenorio (perc), Gustav Karlström (voc) Joby Bernabé (voix) + Quatuor à cordes : Mathias Lévy, Mario Forte, Johan Renard, Clément Petit

Label / Distribution : Plus Loin Music / Abeille Musique

Auguste Cyparis (1875-1929), vous connaissez ? Reclus dans la prison de Saint-Pierre en Martinique, protégé par les murs de sa cellule, il fut un des survivants de l’éruption de la Montagne Pelée en 1902. Gravement brûlé, il sera engagé par le cirque Barnum à titre de curiosité : on exhibait ses blessures en le présentant comme unique rescapé de la tragédie. C’est à ce conteur et attraction de foire que le deuxième disque de Grégory Privat, est dédié.

Martiniquais lui-même, le pianiste est très attaché à la mémoire de ses origines. Il est d’ailleurs le fils de José Privat, pianiste du groupe antillais Malavoi, dont la naissance remonte à la fin des années 60. Tales Of Cyparis, qui fait suite à Ki Koté (2011), est lui aussi, à sa manière, une curiosité, mais pour d’excellentes raisons. Parlons même de totale réussite ! On connaissait déjà toutes ses qualités d’instrumentiste ; ses influences caribéennes, prédominantes, le situent dans la filiation directe d’un Mario Canonge, mais on sent aussi l’héritage de pianistes percussifs - on pense parfois à Ahmad Jamal par l’approche alternant syncopes en tension et fluides échappées. Mais outre les considérations stylistiques, Tales Of Cyparis met avant tout en évidence un grand amour de la mélodie et des couleurs chaleureuses. Le résultat est chatoyant.

Pour la célébration de ce héros malgré lui, Privat a bien fait les choses. Il s’est entouré de musiciens impliqués dans son univers envoûtant, confinant parfois au mysticisme : Manu Codjia, très en verve, brille des mille feux de sa guitare pendant que le trio de percussionnistes (Sonny Troupé, Arnaud Dolmen et Adriano Tenorio) fournit une énergie chaloupée, souvent en intrication discrète avec le piano. Mieux, la présence d’un quatuor à cordes souligne le raffinement de la production. Et, cerise sur ce beau gâteau, les déclamations de Joby Bernabé pour l’évocation de l’histoire et, sur deux titres, le chant de Gustav Karlström [1] ne font qu’ajouter à la réussite d’un disque dont jamais la gravité et le sérieux du propos n’entravent le pouvoir de séduction.

Grégory Privat a tout d’un grand. Avec Tales Of Cyparis, publié chez Plus Loin Music, nombreux sont ceux qui feront un magnifique voyage vers des contrées artistiques chargées d’un passé entre joie et douleur qui dialogue chaque jour avec notre présent.

par Denis Desassis // Publié le 21 octobre 2013

[1Ce Suédois, fils d’Elisabeth Kontomanou, nous pardonnera sans doute de voir en lui un héritier de Stevie Wonder.