Chronique

Hanna Paulsberg Concept

Daughter of The Sun

Hanna Paulsberg (ts), Magnus Broo (tp), Oscar Grönberg (p), Trygve Fisk (b), Hans Hulbaekmo (dms)

Label / Distribution : Odin Records

A ceux qui auraient tendance à oublier que le jazz est une musique qui lutte contre toutes les formes de domination et d’aliénation, que le swing - ou tout nom qu’il conviendra de donner - est un moyen et pas un but, Hanna Paulsberg [1] se fera un plaisir de le rappeler. Et qu’à ce titre, le féminisme, lutte organique entre toutes, se doit d’être mis en avant, ce que le jazz strictement performatif a parfois tendance à oublier. Alors de Gurls à ce quartet Concept, augmenté ici du trompettiste Magnus Broo, la saxophoniste norvégienne replace cette bataille au centre du jeu. Par tous les moyens nécessaires, pop (Gurls) ou bien avec ce magnifique Daughter of The Sun, Paulsberg combat. Concept manie de nombreux langages musicaux, des plus ancrés dans la tradition, comme « Daughter of The Sun » où le contrebassiste Trygve Fiske prépare le terrain avec douceur, au plus Free dans « Little Big Saxophone » où Paulsberg et le Suédois Broo unissent leur souffle dans d’insaisissables mouvements d’évitement.

Si féminisme il y dans la musique d’Hanna Paulsberg, seule musicienne dans cet orchestre de garçons qui la suivent dans l’aventure du Concept depuis plus d’une décennie, c’est dans cette capacité à jouer sans entrave. Dans l’évidence d’un leadership qui ne ressent pas le besoin d’écraser autrui malgré un jeu de ténor puissant qui nous rappelle qu’elle cite Sonny Rollins parmi ses influences : « Scent of Soil », qui ouvre l’album, en est la preuve étincelante avec le thème mélancolique qu’Oscar Grönberg développe au piano, et que la saxophoniste accompagne d’abord en chantant mezza voce avant d’amalgamer les timbres jusqu’à le transformer en une invocation solaire pleine de poésie. On a le sentiment, lorsque Hans Hulbaekmo, le batteur de Moskus embrasse la trompette de Broo en toute fin de morceau, qu’il y a dans la circulation de l’orchestre une liberté acquise qui se doit de rester offensive.

Daughter of The Sun est dédié à la reine d’Egypte Hatchepsout, femme de pouvoir qui fut représentée pendant des années dans l’art égyptien avec la barbe des pharaons. Plus globalement, il se veut hommage à toutes les femmes qui combattent ; même s’il endosse les codes et l’esthétique des seventies, comme en témoigne la pochette, la musique de Hanna Paulsberg s’en émancipe avec beaucoup de spontanéité. On pouvait imaginer, avec une thématique égyptienne, que la référence à Sun Ra émergerait naturellement. Mais Concept s’en défie, sans chercher à renverser la table. De leur précédent album, Eastern Smiles, ils gardent leur capacité à capter les sons d’où qu’ils viennent, et à les réinjecter dans une musique chaleureuse où la tension sert à maîtriser une énergie, pas à affronter ses pairs. Ainsi dans le joyeux « Bouncing With Flower Buds », c’est même une certaine harmonie pleine de souplesse qui nous accueille et montre la véritable complicité qui unit le saxophone et la trompette. On a le sentiment avec cet album qu’Hanna Paulsberg a trouvé sa propre vitesse de croisière et son biotope caniculaire. On s’y réchauffe avec jubilation.