Entretien

Hanna Paulsberg

The Gurl from Norway

Hanna Paulsberg © Johannes Selvaag

Il serait exagéré et partiellement faux d’écrire que Daughter of The Sun, le nouvel album de la saxophoniste norvégienne Hanna Paulsberg et de son quartet Concept, est une découverte. C’est en effet le second album de cet orchestre que nous évoquons sur Citizen Jazz [1], mais la direction prise par la jeune femme est tellement colorée, chaleureuse et brillante qu’elle semble tout à fait neuve, tout comme le sont ses incursions plus pop avec son trio GURLS. Rencontre avec une musicienne volontaire aux idées claires qui évoque tout autant son amour des légendes de nos musiques, la place des femmes dans le jazz et les relations entre musique acoustique et électronique.

- Hanna, pouvez vous vous présenter ?

Je suis une saxophoniste originaire de Rygge, en Norvège. J’ai grandi dans une petite ferme avec mon père, qui était batteur de jazz, où j’ai commencé à jouer du saxophone à l’âge de 16 ans. Je fais partie de deux groupes pour lesquels j’écris de la musique, Hanna Paulsberg Concept et GURLS. Je suis diplômé au conservatoire de Trondheim en Jazz, et actuellement je poursuis mes études supérieures au conservatoire d’Oslo.

Hanna Paulsberg Concept © Julie Marie Naglestad

- Dans votre dernier album, Daughter of the Sun, on est captivé par votre son très chaleureux, et par ce mélange d’énergie et de décontraction. Est-ce que cette manière positive d’aborder la musique est le reflet de votre personnalité ?

Héhé, c’est difficile à dire pour moi. Je pense que je peux incarner à la fois le chaud et le froid, mais pour moi, l’aspect chaleureux de la musique a toujours été très important. C’est pourquoi j’aime tant la tradition du jazz afro-américain. Il y a une atmosphère qui me manque souvent dans le jazz européen plus moderne. En ce qui concerne le mélange d’énergie et de détermination, je suppose que cela reflète une partie de ma personnalité. Il est clair que l’on a besoin des deux pour pouvoir survivre dans ce métier !

- Comment s’est passée la rencontre avec Magnus Broo, qui vous accompagne dans cet album ? Comment avez-vous choisi les musiciens de Concept ?

Hans Hulbaekmo, Trygve Fiske, Oscar Grönberg et moi, nous jouons ensemble depuis que nous sommes très jeunes. Ça fait neuf ans maintenant. Nous avons beaucoup cheminé pour trouver votre propre son en tant que musiciens et en tant que groupe, et nous avons eu de bons comme de mauvais moments. Parfois, lorsque vous jouez aussi longtemps ensemble, vous pouvez également entrer dans des schémas que vous continuez de répéter, à la fois socialement et musicalement.

La collaboration avec Magnus Broo a constitué une expérience à part. Magnus est plus âgé que nous et c’est une personne très affable. Il n’a pas besoin de se la raconter, même s’il peut en remontrer à n’importe qui. Je pense que sa personnalité chaleureuse, sa gentillesse, son ouverture à la musique et à la façon de s’exprimer, nous ont tous amenés à interagir de manière différente de celle à laquelle nous étions habitués. Nous sommes devenus plus détendus nous-mêmes et nous avons osé faire les choses autrement. Je pense que cela s’entend clairement dans la musique.

- La scène norvégienne est en plein essor en ce moment, comment l’expliquez-vous ? Vous sentez-vous à son avant-garde ?

Je ne pense pas avoir déjà eu le sentiment d’être à l’avant-garde de quoi que ce soit. Mais nous avons la chance en Norvège d’avoir de bons systèmes de financement pour le jazz, pour le moment du moins. Cela donne aux musiciens l’opportunité d’explorer la musique qu’ils veulent, qu’elle soit alternative ou commerciale. Je pense que cette liberté est extrêmement importante. Elle apporte une diversité qui profite à tout le monde, et quelque chose de complètement nouveau et différent peut soudainement apparaître.

les gens qui jouent une musique totalement différente de la mienne m’inspirent tout autant, parfois même davantage.

- Est-ce qu’un orchestre comme le Trondheim JazzOrkester, dont vous avez fait partie, a eu une grande importance dans cette visibilité ?

Peut-être. Il est toujours difficile de voir les choses de l’extérieur, mais j’imagine que le Trondheim JazzOrkester a joué un rôle dans la visibilité de la Norvège sur la scène internationale du jazz. Encore une fois, il s’agit d’un projet fermement ancré autour d’un système vertueux et solide, avec des sponsors, un conseil d’administration et tout le reste. Cela donne l’opportunité de jouer beaucoup de concerts à l’étranger, de renforcer la visibilité, de payer correctement les musiciens et les compositeurs, de faire des projets avec de grandes stars et de permettre à de nouvelles musique d’avoir leurs chances.

- Vous citez souvent Sonny Rollins ou Stan Getz dans vos modèles, y en a-t-il de plus contemporains ? Quel est votre regard sur la scène européenne actuelle ?

Wayne Shorter a également eu une très grande influence sur moi, aussi bien en tant qu’instrumentiste que comme compositeur. On a l’impression qu’il a une manière très ouverte de voir la musique et le monde. Les personnes proches de moi ici en Norvège, celles que je rencontre souvent, sont également très inspirantes. Certains de mes professeurs à Trondheim, par exemple Eirik Hegdal, sont parmi mes plus grandes inspirations. Les gens qui jouent une musique totalement différente de la mienne m’inspirent tout autant, parfois même davantage. Je ne sais pas si je suis au courant de tout ce qui se passe sur la scène européenne en ce moment. Mais si je devais mentionner certaines des personnes que j’ai à l’œil, je citerais Eve Risser, Laura Jurd, Heida Mobeck, Signe Emmeluth, Mette Rasmussen, Matilda Rolfsson et Anja Lauvdal, pour ne citer que quelques personnalités avant-gardistes vraiment géniales qui se produisent en ce moment.

Hanna Paulsberg © Julie Marie Naglestad

- Vous avez également travaillé avec Bugge Wesseltoft. Comment approche-t-on l’électronique quand on a votre background jazz assez classique ?

Travailler avec Bugge Wesseltoft était extrêmement stimulant : c’est un gars intéressant, différent de tous les autres musiciens avec qui j’ai joué. La musique était très groove, c’était très amusant. Et Bugge a aussi une ouverture d’esprit vraiment galvanisante.

Et c’est intéressant que vous posiez la question, car j’ai trouvé le travail avec l’électronique un peu difficile. Peut-être que cela a surtout à voir avec le volume, plus élevé que celui auquel je suis habituée. Je travaille principalement dans l’univers du jazz acoustique et je pense qu’il est très difficile de garder la sensation acoustique, où les harmoniques et les détails occupent l’espace qu’ils méritent, quand les choses deviennent trop fortes. Il est également ardu de trouver entre les instruments électroniques et acoustiques un terrain d’entente qui offre aux deux parties l’espace qu’elles méritent. Mais cela peut aussi s’avérer libérateur. Cela peut vous donner la possibilité de jouer autrement que d’habitude. Je fais partie d’un nouveau projet avec un tuba et de l’électronique mais aussi beaucoup de synthés, en plus de deux cors et d’une batterie. C’est vraiment un projet très excitant à jouer, car il est très différent de tout ce que j’ai fait jusqu’ici.

- Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

C’est un projet appelé Finity, avec Anja Lauvdal aux synthés, piano et électronique, Heida Mobeck au tuba et à l’électronique, Torstein Lavik à la trompette, Andreas Wildhagen à la batterie, Kyrre Laastad à l’électronique et aux platines, et moi au sax. La musique est composée par Anja et Heida ; c’était à l’origine une pièce commandée par le festival Only Connect en novembre 2018, un festival axé sur la musique contemporaine. Nous allons sortir notre premier album cette année, sur le label Jazzland de Bugge Wesseltoft.

- Avec Daughter of The Sun, vous rendez hommage à la figure de la reine égyptienne Hatchepsout pour ce qu’elle représente : une femme puissante dans une société patriarcale. Avec Gurls, vous animez un trio féministe… Le jazz actuel laisse-t-il assez de place aux femmes ?

Je pense que nous devons prendre la place que nous souhaitons. Et je pense que la situation en matière d’égalité est très différente selon les pays. Dans certains pays on ne me laisse même pas porter mon matériel parce que je suis une fille. En Norvège, la plupart des journalistes ont cessé de me poser des questions sur le fait d’être une musicienne. Mais il ne fait aucun doute que les hommes ont façonné l’histoire et la façon dont les choses se passent sur la scène jazz. Il peut parfois être difficile pour les femmes de trouver la leur. J’ai trouvé que la meilleure chose à faire pour moi est simplement de me concentrer sur ce que je veux faire, à savoir jouer du saxophone et faire de la bonne musique.

Hanna Paulsberg © Johannes Selvaag

- Quels sont les prochains projets de Hanna Paulsberg ?

Il y a au programme une grosse tournée avec GURLS en ce moment, et je me prépare pour une tournée en Norvège et en Suède avec le Hanna Paulsberg Concept. Ce sont les deux projets avec lesquels je joue le plus en ce moment, mais je vais aussi faire quelques trucs ad hoc, et quelques autres projets prévus pour le printemps et l’été. Pendant ce temps, j’essaie de terminer ma maîtrise au conservatoire de jazz d’Oslo, ce qui est également très amusant.