Scènes

Herbie Hancock & Chick Corea à l’Olympia

Deux figures de légende à l’Olympia


Qu’on le veuille ou non, on ne peut échapper à un sentiment mêlant respect et nostalgie quand on part à la rencontre de deux artistes entrés depuis belle lurette dans la légende du jazz.

Herbie Hancock et Chick Corea ont en effet tourné de somptueuses pages, en particulier aux côtés de Miles Davis : de 1963 à 1968 pour le premier et de 1968 à 1970 pour le second. Aujourd’hui septuagénaires, les deux pianistes peuvent se targuer d’avoir exploré un nombre incalculable de pistes musicales, parfois aux accents funk ou fusion, multiplié les collaborations avec les plus grands et les enregistrements marquants. Leurs cartes de visites sont à elles seules de véritables romans du jazz. Rendez-vous était donné le 4 juillet dernier à l’Olympia avec ces deux musiciens qui n’ont plus rien à prouver, et dont le public était, il faut le dire, conquis d’avance.

La salle est pleine et les « ouvreuses » ont fort à faire pour guider chacun à sa place. On est de tout cœur avec elles lorsqu’elles doivent répéter encore et encore que le pourboire est leur seule rémunération. Sourire gêné, parfois, de celui ou celle qui fouille dans ses poches ou son sac à la recherche de l’obole bienvenue. Sans toujours la trouver. Ou qui, furtivement, demande si on peut lui rendre la monnaie sur le billet glissé au creux de la main. C’est un spectacle avant le spectacle, un petit ballet dont la conclusion tardive vient esquisser ses derniers mouvements alors même que les deux héros du soir sont déjà sur scène. Ils bavardent tranquillement, évoquant des souvenirs parisiens… Corea fait mine de découvrir que la salle est en réalité une copie d’un original aujourd’hui rangé au rayon des souvenirs. Tous deux en profitent pour rendre hommage à quelques compositeurs français ayant marqué leur parcours, dont Henri Dutilleux, disparu en 2013. Tout va bien, il y a du sourire dans l’air.

Herbie Hancock

Le face à face commence, dans un duo de Fazioli, avec l’idée que rien n’est forcément écrit à l’avance. Hancock-Corea, c’est une formule éprouvée ; on reconnaîtra des thèmes tels que « Maiden Voyage », « Cantaloupe Island » ou « Spain », mais les pianistes vont unir leurs efforts pour se chercher, se trouver, se suivre et s’envoler dans une suite essentiellement acoustique aux allures de performance télépathique qui doit autant au jazz qu’aux musiques impressionnistes. Plus improvisée qu’écrite dans son ensemble, elle est propice à la rêverie, sinueuse, volontiers obsédante. Le recours aux claviers et à l’électronique est moins convaincant, comme s’il s’agissait de marquer une respiration entre deux grands élans. Si Chick Corea pratique avec naturel l’art du design sonore et parvient à instaurer un climat presque planant, Hancock semble buter sur ses machines et des samples dont il peine à extraire une pulsation communicative. Chaque fois on croit que le moteur va s’emballer mais rien n’y fait, le compositeur de « Rock It » reste collé à une expérimentation certes sympathique, mais un brin laborieuse.

Le concert passe à la vitesse de l’éclair. En réalité, les deux hommes font mine de quitter la scène au bout de 55mn. C’est bien court, mais on devine que cette fausse sortie est prévue dans le scénario. Ils reviennent en effet sans trop se faire prier et sollicitent le public, réparti pour l’occasion en cinq camps (trois pour les femmes, deux pour les hommes) pour le faire chanter sur commande. Plutôt bien d’ailleurs et c’est tant mieux car ce genre d’exercice, trop souvent poussif, peut vite rompre la magie d’un concert.

Nouvelle sortie, nouveau rappel, nouvelles explorations sonores plus ou moins abouties. On pourrait faire la fine bouche, se dire que le plus simple est parfois le meilleur et qu’on en aurait voulu un peu plus. Mais après tout… Ce sont Herbie Hancock et Chick Corea, tout de même ! Ces deux musiciens, dont le passé nourrira de sa sève créative encore bien des générations, sont venus illuminer un Olympia qui n’en demandait pas plus, ni moins. Certainement pas le concert du siècle, mais à tout le moins une soirée habitée de vrais moments de grâce virtuose dont on se souviendra avec bienveillance.

Chick Corea