Chronique

Jacques Schwarz-Bart

Jazz Racine Haïti

Label / Distribution : Motéma/Membran

Drôle d’histoire… Qui aurait cru que ce très jeune bachelier, puis étudiant à Sciences-Po, qui se destinait à la haute administration, celui que ses camarades de la Berklee School of Boston avaient défié de s’épanouir un jour en musique, au prétexte qu’il était entré dans leur confrérie à l’âge tardif de 27 ans, en serait là aujourd’hui, à ce point d’exaltation si communicatif pour nous tous ? Jacques Schwarz-Bart, fils d’écrivains célèbres [1] auxquels il a dédié son troisième album Abyss en 2008, n’est pas de ceux qui renoncent pour de si futiles raisons. Il le prouve avec ce nouveau disque qui est, en réalité, une page supplémentaire de son histoire personnelle : il faut en effet le comprendre comme une célébration vibrante où se rejoignent jazz et musique sacrée du vaudou haïtien, cette musique qui sait si bien dialoguer avec le silence. Un vaudou injustement entouré d’un halo maléfique aux confins de la magie noire, alors qu’il est à l’origine une religion d’Afrique dont l’objet « est de faire face à la condition humaine en puisant aux sources d’énergie qui se trouvent dans la nature ».

On avait laissé le saxophoniste au cœur du jazz, ou plutôt immergé dans un jazz de cœur, qu’il exprimait dans une formulation qu’on hésite à qualifier de classique de peur d’en nuancer l’éclat : The Art Of Dreaming laissait supposer que si Schwarz-Bart le voyageur avait « décidé de poser ses bagages et de dire en toute humilité son amour de la mélodie », tout le prédisposait à « aller voir vers un nouvel ailleurs ». Cette dernière hypothèse est vérifiée avec ce Jazz Racine Haïti (« Racine » est le nom donné à la musique fondatrice de la culture haïtienne) irrigué d’un flux sanguin qui est celui de ses origines, et où il a voulu « insuffler le génie de la musique vaudou dans son monde de jazzman. » Schwarz-Bart s’est entouré ici d’une équipe enthousiaste dont toutes les voix - piano, trompette, chant et percussions - comptent à part égale et brillent de leurs feux dans un climat à la fois méditatif et joyeux. On y retrouve quelques anciens tels que Milan Milanovic ou Stéphanie McKay (pour un rendez-vous virevoltant sur « Kontredans »), mais aussi de nouveaux compagnons très en verve (Alex Tassel au bugle ou, à la trompette, Etienne Charles, dont le dialogue avec Schwarz-Bart sur « Vaudou Zepole » est étourdissant). Il s’agit pour le saxophoniste – au jeu habité d’une puissance tranquille, jamais bavarde, et d’une évidence mélodique qui est la marque des plus grands – de se donner les moyens d’insuffler toute son énergie à chaque note, dans un processus d’élévation personnelle qui lui permette d’entrevoir le mystère de la vie. Il en a retenu une leçon majeure : faire de chaque jour un événement, car il peut être le dernier. Sacré défi, celui d’un chant universel et poétique - défi relevé avec la sérénité qu’il affiche depuis de longues années et met au service de projets à la fois complémentaires et variés, tel son travail sur les rythmes gwoka de la Guadeloupe (Soné Ka La, 2006) ou l’exploration des couleurs soul (Rise Above, 2010).

Radieux, Jazz Racine Haïti est construit autour d’arrangements de chants sacrés, mais aussi de compositions originales inspirées de la tradition haïtienne ou d’autres musiques intégrant les chants vaudous, habitées par les voix poignantes d’Erol Josué et de Rozna Zila. Il n’est porté par aucune mode et aurait pu voir le jour il y a trente ans ou, au contraire, dans un avenir lointain. Sa musique est juste. En cela, il est un nouvel accomplissement pour Jacques Schwarz-Bart, un artiste capable de préserver la limpidité de son âme d’enfant et de renaître de lui-même à chaque instant.

par Denis Desassis // Publié le 17 mars 2014
P.-S. :

P.S. : Jacques Schwarz-Bart (ts), Etienne Charles (tp), Alex Tassel (flg), Milan Milanovic (p), Grégory Privat (p), Ben Williams (b), Reggie Washington (elb), Obed Calvaire (dms), Arnaud Dolmen (dms), Gaston Jean-Baptiste (perc), Claude Saturne (perc), Erol Josué (voc), Rozna Zila (voc), Stéphanie McKay (voc).

[1Jacques Schwarz-Bart, né aux Abymes en Guadeloupe, est le fils d’André Schwarz-Bart, prix Goncourt 1959, et de Simone Schwarz-Bart, elle-même écrivaine, auteure de livres ayant marqué la littérature caribéenne.