Chronique

Jason Stein’s Locksmith Isidore

After Caroline

Jason Stein (bcl), Jason Roebke (b), Mick Pride (dms)

Label / Distribution : Northern Spy Records

Avec sa pochette psychédélique et son nom cryptique, Locksmith Isidore pourrait très bien passer pour le dernier disque d’un groupe californien tardif ; il s’agit en réalité d’un trio de jazz de Chicago avec une clarinette basse proche de la fission et une base rythmique musclée mais diablement habile. Y a-t-il matière à regret ? Sauf à nourrir une quelconque nostalgie pour le patchouli et les vêtements moches, absolument pas. Jason Stein nous l’affirme dans « As Many Chance You Need », où le son caustique de sa clarinette vient secouer la batterie de Mike Pride, un habitué de la scène new-yorkaise (Halvorson, Irabagon, Malaby…) qui répond coup pour coup. Ce n’est pas à proprement parler un Power Trio, puisqu’il n’y a pas d’électricité, mais l’énergie est là, qui ne perd jamais de vue une certaine tradition dolphyenne (« Eckhart Park ») dans laquelle Stein s’inscrit notablement depuis son solo In Exchange for a Process sorti en 2009 . Une énergie qui exulte dans « We Gone » où Stein tient une ligne que Pride attaque sans cesse sans parvenir à la franchir, une posture que le clarinettiste avait déjà tenue dans le Flesh and Bones de Mike Reed.

Pour clore le trio, on retrouve Jason Roebke à la basse. Stein et lui se connaissent depuis longtemps, et on a souvent entendu le soufflant dans l’octet du contrebassiste, notamment dans le fondateur Cinema Spiral où leur alliance faisait office de révélateur. On retrouve cette complicité dans le plus abstrait « Sternum », composition collective où l’on peine parfois à différencier les slaps de la clarinette et les coups d’archet. Dans cet espace de liberté aux franges du silence, on découvre un univers riche, presque organique dans son approche où les bois et les peaux retournent à un état de nature, comme abandonné au temps et aux éléments. On pense à ce que Jean-Brice Godet pouvait proposer avec Mujô : une subtile alchimie entre la spontanéité et une certaine rigueur rythmique, incarnée par la reprise de « 26-2 », le titre de Coltrane qui sonne comme un manifeste ou un cri de ralliement.

Paru sur le label Northern Spy au catalogue assez vaste, After Caroline est le quatrième album de Locksmith Isidore depuis 2008 et la parution de A Calculus of Loss, au départ avec un violoncelliste supplanté par Roebke. En dix ans, Jason Stein a réussi à se faire une place sur la scène chicagoane où il est incontournable - en témoignent ses collaborations avec Tom Rainey ou Frank Rosaly. Reste désormais à s’imposer de ce côté-ci de l’Atlantique, ce que ce disque ne manquera pas de déclencher. La frénésie de « Walden’s Thing », où la clarinette se débat dans un cataclysme entretenu par la ligne tendue entre Roebke et Pride, est là pour le confirmer avec conviction.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 octobre 2018
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