Scènes

Joëlle Léandre / Roy Haynes

Banlieues bleues 2001, Mardi 20 mars, Théâtre Gérard-Philippe, Noisy-le-Sec :

  • Première partie : Joëlle Léandre (b), Sylvie Courvoisier (p), Susie Ibarra (d).
  • Deuxième partie : Ron Blake (ts, ss), David Kikoski (p), Dwayne Burno (b), Roy Haynes (d)


Intéressante idée de faire précéder le Roy Haynes Quartet par l’ensemble formé par Léandre, Courvoisier et Ibarra - sans doute a-t-on voulu présenter sur la même scène Haynes, un des doyens de la batterie djâzz, et Susie Ibarra, la jeune qui monte. Mais plutôt que de faire une stérile et injuste comparaison de techniciens, on a pu se féliciter de la coexistence de deux tendances majeures : le maintien en excellente santé d’une tradition forte, et l’ouverture vers une recherche laissant forcément de côté certains codes et contraintes pour permettre d’autres expressions et rencontres.

Dans une demi-douzaine d’improvisations, les deux suissesses et l’américaine ont créé de belles conversations sonores, à deux ou à trois. Courvoisier a joué un rôle polyvalent, souvent percussioniste par le biais d’objets posés sur les cordes du piano, ou bien grattant les cordes pour en tirer des grincements en harmoniques proches de ce que faisait parfois Léandre à l’archet. Des rythmes nerveux ne cessaient d’apparaître, spontanément en apparence, des mains de Susie Ibarra, plus ancrée que les autres dans la culture jazz, avant de se défaire pour laisser le temps se structurer autrement. Le jeu de contrebasse de Léandre, occupant tout le registre grave mais en sortant régulièrement, fluctuait entre mélodie et rythme, chant et grommellement, ligne et masse sonore. La communication entre les trois musiciennes a produit une musique dense, lyrique et captivante, et le sens fort de la narration, du « story-telling », est bien ce qui l’a rapprochée le plus du jazz.

Le quartet de Roy Haynes, c’est une autre approche, à la fois festive et
technique, où les musiciens, forts de leur savoir partagé, jouent pour jouer bien un style de musique - là ou les autres ont joué pour se rencontrer. Après avoir adoré les premières, on était tout aussi heureux d’avoir les derniers, avec leur brillance, leur confiance, leur joie dans la performance. Haynes, à 75 ans, reste tellement fort et tellement malin que c’est à croire qu’il a trouvé dans le swing sa fontaine de jouvence. Il forme avec son pianiste de longue date, David Kikoski, un couple virtuose et jouissif, se lançant constamment pièges et défis, surenchérissant dans la subtilité et la complexité des rythmes sans jamais manquer à l’obligation de les faire danser. Kikoski a d’autant plus étonné qu’il avait la main gauche dans le plâtre, et a rempli magnifiquement son rôle d’accompagnateur comme de soliste comme si de rien n’était ! Dwayne Burno à
la contrebasse était inébranlable, ce qu’il faut quand des diables comme Kikoski et Haynes jouent à brouiller les pistes. Ron Blake, jeune saxophoniste newyorkais assez en vue, a, semble-t-il, remplacé Don Braden pour la tournée. Sa sonorité au ténor est riche et pleine, vraiment belle, mais il n’a peut-être pas toute la rigueur de Braden. Le quartet a joué du Monk, du Parker, des standards, et des calypsos, en finissant par le « Brown-Skin Girl » rendu célèbre par Sonny Rollins - ancien partenaire de Haynes - avant de revenir pour un énergique rappel avec solo de batterie spectaculaire. On quittait le concert la sourire aux lèvres.