Chronique

John Coltrane

Blue World

John Coltrane (ts, ss), McCoy Tyner (p), Jimmy Garrison (b), Elvin Jones (dms).

Label / Distribution : Impulse !

Peut-on parler d’un « nouvel album » de John Coltrane lorsque paraît en septembre 2019 Blue World, enregistré le 24 juin 1964 par le quartet « classique » du saxophoniste ? Oui et non. Oui, parce qu’il s’agit d’une session complète destinée à devenir la matière première d’une bande originale et qu’elle a le mérite d’exister en tant que telle. Non, parce qu’à l’évidence, Coltrane ne l’avait pas pensée comme un futur disque. On pourrait dire la même chose de la session du 6 mars 1963 exhumée l’an passé sous le titre Both Directions At Once. Blue World retrace un moment particulier qui vient documenter une année marquée par deux albums seulement, mais fondamentaux : Crescent d’une part, enregistré entre le 27 avril et le 1er juin ; A Love Supreme d’autre part, bouclé le 9 décembre avec quelques ajouts le lendemain. Pour cette seule raison, les amoureux de la musique de John Coltrane peuvent se réjouir d’une publication venant mettre au jour un enregistrement dont ils savaient l’existence.

Il aura fallu la passion coltranienne d’un cinéaste canadien, Gilles Groulx – qui avait en tête le travail de Martial Solal sur À bout de souffle, de Thelonious Monk sur Les liaisons dangereuses et de Miles Davis sur Ascenseur pour l’échafaud - et le rôle d’entremetteur joué par Jimmy Garrison pour que la rencontre se fasse. Groulx a proposé au saxophoniste une liste de compositions : Coltrane a fait son choix, acceptant les unes, rejetant les autres. Le chat dans le sac – tel est le titre du film – donne à entendre une partie seulement de ce qui fut enregistré au Studio Van Gelder d’Englewood Cliffs. La version complète d’une des prises de « Naima », des extraits de « Village Blues » et « Blue World » (une déclinaison de « Out Of This World »). Voilà pour résumer l’histoire.

Au-delà de ces circonstances un peu particulières – par la suite, Groulx et Coltrane n’auront pas l’occasion de se revoir – tout l’intérêt du disque est de donner à entendre par le quartet du saxophoniste de nouvelles interprétations de compositions enregistrées précédemment : « Naima » (deux prises), « Village Blues » (trois prises), « Like Sonny », « Traneing In » et « Blue World ». Le cas de cette dernière est un peu différent dans la mesure où Coltrane, McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones s’en étaient déjà emparés en studio le 19 juin 1962 tandis que les autres étaient connues par d’autres formations, en 1957, 1959 et 1960. Et c’est magnifique, tout simplement. Pas besoin de commenter au-delà tant la maîtrise du quartet est flagrante, d’autant qu’elle s’exprime tout au long de versions souvent courtes des thèmes retenus. Sa concision, sa manière d’habiter chaque note, son autorité naturelle qui allait culminer quelques mois plus tard avant un processus de désintégration progressive durant la si prolifique année 1965 : c’est cela que Blue World met en lumière – on ne saurait trouver meilleur mot.

Si le disque n’est sans doute pas celui qu’on recommanderait à quiconque voudrait entrer dans le monde de John Coltrane, il se révèle comme une pièce essentielle dans la connaissance de son parcours fulgurant.