Scènes

Lafayette, voilà Charlélie !

Nancy Jazz Pulsations – Chapitre 4. Samedi 14 octobre 2017, Chapiteau de la Pépinière. Sarah McCoy, Charlélie Couture, Kenny Neal.


Charlélie Couture © Jacky Joannès

Voilà l’exemple même d’une soirée qui impose un choix difficile… Du côté de la Salle Poirel, le programme annonce le passionnant Watchdog de la pianiste Anne Quillier, suivi de Youn Sun Nah, dont on sait le pouvoir de séduction. À l’Autre Canal, Guillaume Perret se produit en solo. Au chapiteau de la Pépinière, c’est la venue du plus américain des nancéens, le protéiforme Charlélie Couture qui donne envie de vibrer à un rock des bayous endiablé made in Louisiane. Pile ou face ? On n’est pas loin de laisser le hasard décider… Finalement, c’est l’ambiance festive du lieu emblématique de NJP qui l’a emporté. Bien nous en a pris. Cap sur Lafayette !

On pourra dire tout ce qu’on veut au sujet de Nancy Jazz Pulsations et sa programmation multiple. Jazz ? Pas jazz ? Après tout, quelle importance puisque chacun peut trouver son compte en optant pour le lieu correspondant le mieux à ses désirs de musique ? Les principales salles (L’Autre Canal, la Salle Poirel, le Théâtre de la Manufacture, le Magic Mirrors et le chapiteau de la Pépinière) sont en outre concentrées dans un périmètre assez restreint au cœur de la ville, ce qui facilite les déplacements, voire le passage de l’une à l’autre lors d’une même soirée.

Il n’en reste pas moins qu’aux yeux de beaucoup, le chapiteau est l’âme du festival. Il est son ADN depuis 1973. Bien sûr le jazz y est moins présent qu’autrefois, mais l’ambiance qui y règne reste unique : sa foule en mouvement qui entre et sort dans un flux continu, ses gradins surchargés dont les escaliers résonnent du pas métallique des spectateurs voulant s’asseoir, ses effluves de bière et de tabac au dehors, le bruit des gobelets qu’on écrase du pied sans le vouloir, les conversations multiples, tous les regards qu’on croise. Bref, des scènes de vie et cette impression de plonger en un lieu habité de mille histoires auxquelles il est difficile d’échapper, à défaut d’entre être toujours l’acteur. Le chapiteau de la Pépinière est et restera NJP, quoiqu’on puisse penser de son évolution qui suit la pente généraliste s’imposant à la plupart des festivals européens.

Alors, quand un chanteur tel que Charlélie Couture est annoncé, un samedi de surcroît, on a envie d’en être. C’est lui le régional de l’étape par excellence, ce fils d’un antiquaire de Nancy qui aime rappeler qu’il a appris le patin à roulettes à l’endroit même où il se produit sur scène ce soir. Charlélie est un artiste multiple, musicien, peintre, chanteur qui a posé ses bagages à New York depuis belle lurette pour y ouvrir une galerie. Il est conscient de la chance qui s’est posée sur son épaule un beau jour et demeure malgré tout lucide sur la fragilité des destins individuels et de notre monde qui va « à vau-l’eau ». Mais il veut conserver son enthousiasme et, sans oublier le passé aux accents nostalgiques, regarde d’abord aujourd’hui parce que demain semble parfois trop lointain. Accent traînant, voix nasillarde et une énergie que pourraient lui envier bien des rockers ou prétendus tels. Lui peut se permettre une reprise impeccable de Dylan (« Knockin’ On Heaven’s Door ») quand d’autres se fracassent sur « Heroes » de David Bowie… À son actif, une vingtaine d’albums depuis les années 70, quelques succès marquants dont le plus célèbre est sans doute « Comme un avion sans ailes » et, tout récemment un disque enregistré en Louisiane avec des musiciens du cru, Lafayette. Soit un coup parfait pour les amoureux du blues rock des bayous et sa force joyeuse. Le bonhomme nous a fait très plaisir avec cette galette vitaminée.

Charlélie Couture © Jacky Joannès

Entre la prestation robuste de l’américaine Sarah McCoy et le blues de Kenny Neal, Charlélie Couture n’a pas manqué son rendez-vous avec le public lorrain, qui l’attend un peu comme on espère la visite du cousin bourlingueur, celui qui a toujours de savoureuses anecdotes à raconter. Entouré d’un combo très soudé (dont le fidèle Karim Attoumane à la guitare électrique), Couture se tient debout sur scène, sanglé dans un impeccable costume gris, barbichette blanche au vent de Lafayette. Le passage en revue des principaux titres du disque a des allures de fête : « Déconner », « Un jour les anges », « Debout dans la boue », « Annie, ma petite amie » ou encore « Maison soleil levant », une adaptation de « House Of The Rising Sun ». Charlélie Couture administre à son public un salutaire concentré d’énergie surmonté d’un grand sourire. Celui-ci s’affiche sur la plupart des visages, d’autant que se profile un retour aux années d’avant, illustré par deux chansons qui sont sur (presque) toutes les lèvres : « Comme un avion sans ailes », forcément. Puis « Le loup dans la bergerie », en provenance de l’album Poèmes Rock en 1981. Comme les années ont filé ! Charlélie Couture s’est installé pour l’occasion derrière un clavier qu’il martèle frénétiquement. Il se passe quelque chose, vraiment. C’est une sorte de communion multidimensionnelle et joyeuse : entre les musiciens et le public d’un côté, entre hier et aujourd’hui de l’autre.

On quitte la salle, après un double rappel. Les yeux pétillent de joie. Il n’est pas question d’oublier pour autant tout ce qui nous entoure. Mais juste de se dire que ce moment valait la peine d’être vécu. Il devrait rester dans les mémoires de beaucoup.

Charlélie Couture © Jacky Joannès

Sur la platine #NJP2017 : Lafayette (Universal – 2016)

Revoir le concert de Charlélie Couture à Nancy Jazz Pulsations