Tribune

Le dernier envol de Didier Lockwood

Aussi brutale qu’inattendue, la disparition du violoniste est un séisme dans le monde du jazz et de la musique en général.


Didier Lockwood © Christophe Charpenel

Le violoniste est décédé des suites d’une crise cardiaque. Une disparition brutale, qui nous laisse tous un peu incrédules. Didier Lockwood venait de fêter son soixante-deuxième anniversaire.

Tout commence par un message, en fin de matinée de ce dimanche 18 février 2018. Didier Lockwood serait entre la vie et la mort, après avoir été victime d’une crise cardiaque. On a du mal à y croire, on a envie d’espérer que la vie sera la plus forte… Pourtant, il faudra bien accepter une disparition annoncée officiellement quelques heures plus tard.

Aussitôt les souvenirs remontent à la surface. Pour l’auteur de ces quelques lignes, c’est un choc lointain, en 1975, et l’apparition d’un musicien de 19 ans propulsé sur la planète Kobaïa aux côtés de son mentor Christian Vander. En témoigne Magma Live, disque brûlant et un chorus d’anthologie sur une composition intitulée « Mekanïk Zain ». Le jeune violoniste est en pleine incandescence et sera marqué à jamais par cette expérience fondatrice. « Cela a été mon service militaire. J’y ai perdu quelques dents mais gagné beaucoup d’enseignements. On se foutait à cette époque de la fiche de paye. J’étais, comme tous les autres équipiers du théâtre Magma, totalement allumé. Je veux le rester toujours ».

Souvenir aussi d’un concert du même Magma l’année suivante, dans une formation resserrée et plus sombre que jamais. Lockwood est là, au cœur du volcan. Qui pouvait alors se douter que les années à venir allaient consacrer ce gamin à l’allure encore timide comme LA référence en matière de violon jazz ? Faites une expérience toute simple : dites violon et jazz et vous obtiendrez aussitôt deux noms. Stéphane Grappelli et Didier Lockwood. C’est aussi simple que cela. Lockwood était plus qu’un musicien virtuose, il était devenu un symbole.

Au lendemain de sa mort, les hommages pleuvent et ses admirateurs pleurent, l’histoire de sa vie de musicien est racontée en détails, depuis l’époque du Conservatoire de Calais jusqu’à un statut d’ambassadeur international du jazz. Son ascension irrésistible, ses collaborations prestigieuses, sa volonté de transmettre, les rapports qu’on commandait à celui qui était devenu le vice-président du Haut conseil de l’éducation artistique et culturelle au milieu des années 2000. Et bien sûr le Centre des Musiques Didier Lockwood (CMDL), l’école qu’il avait créée à Dammarie-lès-Lys, commune dont il fut aussi l’adjoint à la culture.

Didier Lockwood © Christian Taillemite

Une vie en musique, une musique pour la vie. Et pour la définir, plutôt qu’un alignement de noms prestigieux et une recopie paresseuse de quelques lignes estampillées Wikipédia, peut-être est-il plus simple de se reporter à un abécédaire que le violoniste avait écrit lui-même et qui constituait sans nul doute la meilleure des descriptions d’un parcours survolant toutes les musiques. Le jazz et ses déclinaisons manouche ou jazz rock, musique classique, chanson, expérimentations sonores, brassages interculturels… Comme une définition de la fusion. Sans oublier un amour immodéré pour l’improvisation, que le violoniste avait consigné dans un livre : Cordes et âme, méthode pour violon jazz.

À 62 ans, Didier Lockwood avait conservé toute l’énergie de ses 20 ans. Il était d’ailleurs encore sur scène samedi soir, au Bal Blomet, dans le XVe arrondissement de Paris. Les musiciens de The Amazing Keystone Big Band comptaient prochainement faire la fête avec lui Salle Pleyel les 10 et 11 mars, histoire de raconter sur scène les aventures de Monsieur Django & Lady Swing, en compagnie de quelques autres grands noms. La mort, cette traîtresse, savait si bien à quel point son enthousiasme était intact qu’il lui a fallu le faucher sans prévenir, laissant ses proches et ses admirateurs dans un profond désarroi. Qu’elle ne se réjouisse pas trop vite toutefois de son coup bas : rien ni personne ne pourra effacer le sourire et le regard d’enfant émerveillé que le violoniste avait su conserver par-delà les années.

So long monsieur Lockwood. Votre appétit de vie et de musique va nous manquer.

par Denis Desassis // Publié le 19 février 2018
P.-S. :

En images : Didier Lockwood au Parc Floral de Vincennes, le 8 juin 2014. Avec André Ceccarelli (batterie), David Enhco (trompette) et Thierry Eliez (basse).