Tribune

Le jazz en Midi-Pyrénées [1]

Le jazz en Midi-Pyrénées est en perpétuel mouvement, et ce panorama en quatre volets en constitue une photo en un instant T, un cliché nécessairement incomplet mais qui permet d’explorer cette scène. Marciac en est la figure la plus visible mais Toulouse en est le cœur. Ce réservoir de musiciens irrigue la scène jazz dans la Région et au-delà. Qui joue quoi et où ?


Le jazz en Midi-Pyrénées est en perpétuel mouvement, et ce panorama en quatre volets en constitue une photo en un instant T, un cliché nécessairement incomplet mais qui permet d’explorer cette scène. Marciac en est la figure la plus visible mais Toulouse en est le cœur. Ce réservoir de musiciens irrigue la scène jazz dans la Région et au-delà. Qui joue quoi et où ?

Pointer la spécificité jazzistique de Toulouse et Midi-Pyrénées n’est pas facile car s’il existe des salles, festivals, programmations basés dans cette région, nombreuses sont les formations qui y participent à la vie musicale et qui, en même temps, dépassent ce cadre géographique. Qu’on pense au sextet d’Abdu Salim, composé exclusivement de musiciens toulousains, à l’exception de lui-même puisqu’il vit en Languedoc-Roussillon. Qu’on pense encore au trio de Rémi Panossian ou à Jean-Marc Padovani dont les notoriétés respectives débordent très largement les limites de cette région. Et puis, le jazz en Midi-Pyrénées, c’est aussi des musiciens qui y sont passés mais n’y sont pas restés. Ainsi de Claude Egéa, Pierre Boussaguet, Emile Parisien, Jean-Michel Pilc ou encore Guillaume de Chassy qui ne participent plus de manière spécifique à cette scène.

La perméabilité de la scène jazz en Midi-Pyrénées

Il n’existe donc pas en Midi-Pyrénées une scène de jazz close et sans interaction avec d’autres styles et d’autres lieux. Ainsi, Robin Fincker, sur son MySpace, mentionne-t-il à la fois Toulouse et Londres. D’ailleurs, un coup d’œil à ses différents projets témoigne de cette perméabilité. Il joue à la fois avec le contrebassiste toulousain Julien Duthu, co-dirige, avec Pierre Pollet et Thibault Soulas, la formation Zoo ainsi que Farm Job avec Julien Touéry, Maxime Delporte et Fabien Duscombs. Il participe également à Mediums, un des projets de Vincent Courtois, il est un des leaders d’Outhouse, une formation innovante de la scène londonienne et joue dans l’Orchestre de Mlle Durin, une formation fantasque et collective exclusivement composée de musiciens de Midi-Pyrénées. De la même manière, Leïla Martial, outre son quartet basé en région parisienne, participe aux Humanophones, un groupe de percussions corporelles créé à Toulouse par Rémi Leclerc. On voit donc qu’il est illusoire de chercher des frontières permettant de contenir le jazz en Midi-Pyrénées.

Ensuite, et de manière corollaire, vouloir dresser un inventaire exhaustif de l’activité jazz en Midi-Pyrénées est vraisemblablement impossible. D’une part parce que les musiciens, associations, lieux, médias… sont nombreux, et d’autre part parce qu’il existe des ramifications presque infinies. En fait, plutôt que de dresser un inventaire exhaustif, c’est en termes de réseaux qu’il faut appréhender les choses et, lorsqu’on est attentif à ces réseaux (de lieux, de festivals, de productions, de médias et, bien entendu, de musiciens), on découvre alors un nombre impressionnant d’expériences musicales.

La question de la notoriété

Face à la masse d’informations, le plus simple est peut-être de partir des figures les plus connues. Et, dans ce registre, il y a évidemment des musiciens et des formations bien plus connues. Ainsi en est-il du batteur Christian Ton Ton Salut, des saxophonistes Richard Calléja, Didier Labbé, Marc Démereau, Jean-Marc Padovani, des chanteuses Magali Piétri et Françoise Guerlin, de la clarinettiste Isabelle Cirla, du contrebassiste Joël Trolonge, du pianiste Philippe Léogé, des groupes Monkomarok ou encore le Tigre des platanes. La génération suivante n’est pas en reste puisque des formations comme Pulcinella, Stabat Akish, l’Artichaut Orkestra ou encore le trio de Rémi Panossian sont, là encore, étroitement liées à cette scène, et que leur notoriété dépasse Midi-Pyrénées.

On trouve, inversement, des groupes moins réputés mais qui contribuent tout autant à la vitalité de la scène en Midi-Pyrénées. Bien entendu, impossible de tous les citer ; j’imagine d’ailleurs qu’il est impossible de tous les connaître, ne serait-ce que de nom. Mais citons pêle-mêle Apéro Swing, Bluemary Swing, Curcuma, l’Art Bop jazztet, Wiosna, Hoz trio, Amad quartet, Ibuprofunk, Daou el Oued, Fiscal Paradise, la Tune, les Pistons flingueurs, Jaryk Group, Abarrejadis, K-Left, Camping sauvage, le trio Bergin’, Meajam, Floryjazz… Ces formations, nombreuses et souvent de grande qualité, contribuent à la dynamique musicale de la région. Ils sont à la fois moins connus et beaucoup plus tributaires de la scène régionale, voire locale. Beaucoup se produisent quasi exclusivement en Midi-Pyrénées. Cette distorsion entre des groupes complètement tributaires de la scène régionale et des groupes qui n’en dépendent pas (ou peu) découle bien entendu et en grande partie de cette différence de notoriété. Mais cette différence n’est pas exclusive. D’abord car certains musiciens ont un attachement affectif à l’égard de cette scène ; ensuite car la distinction entre musiciens connus et moins connus est relative. Et pour cause : ils existent dans des réseaux locaux. Ainsi, si Pulcinella, du fait d’une certaine notoriété, est une formation relativement émancipée de la scène en Midi-Pyrénées, ses musiciens participent à d’autres formations qui, pour le coup, dépendent beaucoup plus de la scène locale. Il en va ainsi de Frédéric Cavallin, qui pratique régulièrement la musique improvisée dans le sous-sol d’une pizzeria, ou de sa participation à Anticyclone. C’est aussi le cas de Florian Demonsant qu’on peut retrouver régulièrement à la Maison Blanche sur divers projets consacrés à l’accordéon, ou du batteur Stéphane Gratteau, qu’on trouve aux côtés de Maxime Delporte dans le génialissime sextet Stabat Akish, mais également à la tête de la Tune, un trio militant beaucoup plus confidentiel.

Mais l’équation entre musiciens relativement connus et émancipés de la scène locale d’une part, et musiciens moins connus qui en seraient complètement tributaires d’autre part, n’est pas systématique, pour des raisons de simple commodité. Il est en effet plus facile pour un musicien, même connu, de faire une date dans une salle locale, quelle que soit sa réputation. D’une part parce que - sans considération de cachet - l’économie de frais de transport et d’hébergement n’est pas anodine ; d’autre part, parce que les projets doivent être régulièrement produits pour exister. Or, multiplier les dates est plus aisé lorsqu’on sollicite des lieux locaux. Il a ainsi été possible de voir et d’écouter la Face cachée des sous-bois, un trio constitué de Julian Babou, Ferdinand Doumerc et Sonny Troupé, au Breughel, par exemple après une date à la Dynamo de Toulouse. Pensons aussi au fait que bon nombre de musiciens sont enseignants et n’hésitent pas à se produire avec certains de leurs élèves. C’est le cas, de manière systématique, à Music’Halle, dans l’ancienne usine Job. Les jam sessions menées au Mandala par Christian Ton Ton Salut notamment, relèvent de cette logique.

Ainsi, ces musiciens, que la notoriété (et le talent) amène à être programmés sur de prestigieuses scènes nationales, voire internationales (Festivals Jazz sur son 31, Jazz sous les pommiers, Banlieues Bleues) et qui se produisent également dans des lieux beaucoup moins formels, contribuent différemment à l’existence d’une scène jazz en Midi-Pyrénées. En outre, ils créent un mouvement de passation entre musiciens, dont la version générationnelle est vraisemblablement la plus perceptible. Certains musiciens, connus, permettent d’en faire découvrir d’autres, souvent plus jeunes. Christian Ton Ton Salut est sûrement le plus emblématique puisque, outre les jam sessions qu’il conduit régulièrement, il multiplie les concerts notamment avec son quintet composé de Julien Duthu, Cyril Amourette, Nicolas Gardel, David Pautric. C’est également le cas de Magali Pietri dont le quartet est composé de Pierre Pollet, Thibault Soulas et Rémi Leclerc, et de Didier Labbé, qui se produit en duo et en quartet avec l’accordéoniste Grégory Daltin, ou encore du guitariste Jean-Paul Raffit, en duo avec le saxophoniste Frédérik Lacourt, lorsqu’il ne dirige pas le surprenant Orchestre de Chambre d’Hôte. Citons enfin la Jazz Odyssée conduit par Philippe Laudet et où figurent Ferdinand Doumerc, David Haudrechy, Nicolas Gardel, Olivier Sabatier et toute une bande de jeunes musiciens particulièrement prometteurs.

Le milieu jazz en Midi-Pyrénées est loin d’être clos. Il est même fortement perméable, comme en témoignent ses musiciens les plus notoires. Mais cette notoriété est relative car elle ne distingue pas de manière stricte deux milieux qui ne cohabiteraient pas. Et si certains artistes sont très renommés, des passerelles les lient à des musiciens moins connus pour des projets plus confidentiels. Ce phénomène de passation, s’il n’est pas systématique (ne rêvons pas), existe bel et bien, et constitue une illustration de la diversité du jazz en Midi-Pyrénées.

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