Chronique

Leblanc / Vicente / Antunes / Ferreira Lopes

A Square Meal

Karoline Leblanc (p), Luís Vicente (tp), Hugo Antunes (b), Paulo J Ferreira Lopes (dms)

Label / Distribution : Atrito-Afeito

Luís Vicente est un chasseur de perles, principalement planquées dans tous les recoins d’Europe. Il les déniche auprès des scènes les plus vivaces ou exotiques. Les pêches sont à chaque fois miraculeuses : de son récent In Layers avec Onno Govaert jusqu’aux collaborations avec le Tricollectif, sa trompette volubile est chez elle partout où elle est invitée. C’est un talent rare que d’imprimer toujours sa patte dans les divers univers où l’on plonge, sans pour autant tomber dans l’uniformisation.

Il y a certes entre What About Sam ? et ce quartet qui présente A Square Meal quelques similitudes, dans la fougue comme dans l’agitation qui cherche le mouvement perpétuel. On retrouve au côté du trompettiste une colonie intarissable de musiciens lusitaniens, à commencer par l’impressionnant batteur Paulo J Ferreira Lopes, idéal accélérateur de particules qui sait faire exploser les formes au bon moment (« Cubeb and Lime »). Toutes les participations de Vicente à un disque concourent à une communauté d’idée sur le devenir de l’improvisation mondiale plus que de la redite ou de l’expression d’une « bande ». La plupart des musiciens ici présents sont nouveaux dans sa discographie. C’est d’ailleurs Karoline Leblanc, jeune pianiste québécoise qui mène les débats, et c’est l’une des plus brillantes perles que Vicente ait jamais ramenées. On s’en convainc avec l’intense « Creature Comforts » où son jeu pugnace et cogneur se heurte de plein fouet à la contrebasse malmenée de Hugo Antunes. Sur cette basse aussi brûlante que de la lave, Luís Vicente souffle sur les braises dans un râle d’embouchure colérique, lorsqu’il ne s’atomise pas en divers éclats de cuivre.

Il serait caricatural de dire que la pêche a eu lieu dans les eaux territoriales de l’Amérique du Nord. A bien des égards, à l’écoute de « Ken Tack » et ces basses martelées par Leblanc, on se situe dans l’espace infini de l’improvisation européenne. Néanmoins, à la moindre étincelle -et elles ne tardent guère- on se souvient que le contrebassiste a beaucoup travaillé avec Chris Corsano, Nate Wooley ou John Dikeman (notamment avec Luís Vicente sur l’excellent Salão Brazil). Les rages soudaines, souvent attisées par les cordes, font régulièrement songer à cette proximité américaine, d’autant que la discographie de la pianiste, parue majoritairement sur le label Atrito-Afeito qui accueille A Square Meal, est très largement nourrie de cette tradition plus free, sensible dans un morceau orgiaque comme « A Square Meal », mais également dans un album tel Man of War avec le Total Improvisation Troop. Excitante découverte.