Chronique

Les Permutants

Alive !

François Gallix (b), Géraud Portal (b), Boris Blanchet (ts, ss), Stéphan Moutot (ts, ss), Julien Chignier (as, bs), Sébastien Joulie (g), Étienne Deconfin (p), Nicolas Thé (dms), Arthur Declercq (dms).

Label / Distribution : Gaya Music / Socadisc

Vingt ans après ! Ainsi pourrait-on résumer en quelques mots l’origine d’un disque qu’on n’attendait pas forcément et dont l’existence même intrigue quelque peu. Il n’est ici question ni d’Alexandre Dumas ni d’une poignée de mousquetaires sur le retour, mais d’une résurgence musicale. Et pas celle d’un groupe, plutôt celle d’un répertoire. Vous ne comprenez pas ? Qu’on vous explique, en quelques lignes…

Il y a vingt ans, à l’instigation du contrebassiste François Gallix et du guitariste Jean-Loup Bonneton, un nonette pas comme les autres voyait le jour en même temps qu’un club. Soit l’acte de naissance du Collectif Mu et du Crescent Jazz Club de Mâcon. Le Collectif Mu était une formation singulière, poussée par une rythmique composée de deux contrebassistes et deux batteurs, emportée par les souffles conjugués de trois saxophonistes. Et pour faire bonne mesure, un guitariste et un pianiste venaient compléter l’équipe. On se rappellera que du beau monde était à la manœuvre autour des deux leaders : Eric Prost, Gaël Horellou, David Sauzay, Fabien Marcoz, Laurent Sarrien, Philppe Garcia, Laurent Courthaliac ou encore Emmanuel Borghi. Deux albums parus chez Seventh Records avaient raconté leur aventure : Live au Crescent (1996) et Don Quichotte (1997). Et puis… le départ de Bonneton (qui signait la plupart des compositions) à la fin des années 90 avait entraîné la fin d’une histoire marquée par de belles récompenses (concours de Vienne 1995 et de La Défense en 1996).

Mais en 2016, comme surgis d’un passé qu’on croyait révolu, advenaient Les Permutants (pour la petite histoire, le nom du groupe est aussi celui de la première composition du premier disque du Collectif Mu) et leur disque Alive !, emmenés par François Gallix, seul trait d’union entre les deux formations. Le contrebassiste a pris en effet la décision de faire revivre cette musique en s’appuyant sur une formule sonore identique à celle des origines, non sans avoir renoué au préalable avec Jean-Loup Bonneton. Pour l’heure, il s’agit bien d’un retour qu’on pourra qualifier de revival : pas seulement en raison du clonage de l’instrumentarium, mais aussi parce que les compositions proviennent du répertoire des deux albums cités un peu plus haut (« Harmonium », « Ragator rageant » et « La Promenade de Devil » sont issus de Live au Crescent ; « Don Quichotte » et « Archie » de Don Quichotte). On peut trouver l’idée saugrenue, mais la détermination de ce nouveau groupe balaie toutes les réserves et donne une idée de ce que le Collectif Mu pouvait avoir de cher au cœur de quelques-uns. Ces Permutants sont animés d’une énergie collective et individuelle – dont les origines sont à chercher tant du côté de Charles Mingus (c’est flagrant sur « Ragator rageant » par exemple) que de John Coltrane (« La Muse de la danse ») – qui n’a rien à envier à celle de leurs inspirateurs, vingt ans plus tôt. Les arrangements sont séduisants comme au premier jour, la double rythmique est une joyeuse tempête, les interventions des solistes sont d’une densité heureuse. Le bal des saxophones est ici un plaisir dont on se délecte, d’autant qu’on est ravi de retrouver un Boris Blanchet en très belle forme. Ce qui ne diminue en rien la performance de ses petits camarades, serviteurs inspirés d’une cause musicale dont la richesse et le potentiel aujourd’hui encore, n’échapperont à personne. Ecoutez par exemple l’intervention de Julien Chignier au saxophone baryton sur « La Promenade de Devil », elle parle d’elle-même.

Et après cet après, que va-t-il donc se passer ? Parce qu’on imagine mal Les Permutants n’avoir comme seul objectif que de faire revivre une poignée de compositions, aussi luxuriantes soit-elles, tel cet « Harmonium » de toute beauté. Il est question d’un retour aux affaires de Bonneton, prêt à composer à nouveau pour un groupe qui cultive un héritage bien plus qu’il ne succombe aux sirènes de la nostalgie. Au vu de la qualité des musiciens en lice, on aurait alors vraiment de quoi se réjouir pour la suite. Alive ! est un témoignage fiévreux, qui donne envie, il faut bien l’avouer, d’exhumer des rayonnages les deux disques du Collectif Mu. Affaire à suivre. En attendant, ce disque devrait combler les amoureux du jazz vivant.