Scènes

Les Rendez-Vous de l’Erdre 2011

Pour cet événement attendu de la rentrée, une programmation très alléchante attendait les spectateurs. Et l’édition 2011 a confirmé pendant trois jours que les Rendez-Vous de l’Erdre sont devenus incontournables sur la scène jazz estivale.


D’année en année, les Rendez-Vous de l’Erdre confirment leur statut de grand festival de jazz, que ce soit en termes d’audience, avec plusieurs dizaines de milliers de spectateurs sur quatre jours, mais également au regard de la qualité de la programmation concoctée par Armand Meignan et son équipe. Ainsi, pour cette nouvelle édition, nous étaient proposés notamment des concerts des quartets de Francesco Bearzatti, Daniel Humair et Archie Shepp, la révélation française MeTaL-O-PHoNe, le trio de Stéphane Kerecki avec Tony Malaby en invité, Rigolus, The Ex Brass Unbound, Mulatu Astatké, le Willem Breuker Kollektief, Benjamin Flament pour des animations auprès des plus jeunes ou encore Laïka en clôture, accompagnée par Hamid Drake.

Photo Philippe Méziat

Retour sur quelques moments marquants. A commencer par la scène Sully, qui accueille une nouvelle fois la programmation la plus attirante. Les lauréats de Jazz Migration 2011 ouvrent les hostilités : Benjamin Flament, Joachim Florent et Elie Duris sont là pour présenter MeTaL-O-PHoNe, superbe trio qui a tourné un peu partout en France ces derniers mois et dont le premier disque a été salué par Citizen Jazz. Issu du collectif Coax, ce groupe propose une musique dense, électrifiée, rythmiquement complexe, dont les évolutions mélodiques tiennent autant du jazz que des musiques minimalistes. La contrebasse de Florent et le vibraphone de Flament sont enrichis d’effets nombreux, multipliant les possibilités sonores et ouvrant les portes à la saturation. On sent une grande maturité dans ce trio, probable résultat des nombreux concerts donnés ensemble. A la croisée des chemins, la musique de MeTaL-O-PHoNe est prenante, quasi hypnotique, portée par une interaction de tous les instants. Le collectif Coax, qui regroupe notamment Irène, Radiation 10 ou encore Rétroviseur, compte parmi les plus passionnants de la jeune scène française et MeTaL-O-PHoNe en est une nouvelle confirmation. Le trio est en tournée à l’automne, il faut les découvrir sur scène.

Autre concert mémorable, celui du New Reunion Quartet de Daniel Humair qui, une nouvelle fois, s’entoure de jeunes musiciens comme il le fait régulièrement depuis quelques années. A ses côtés on retrouve donc la valeur montante, et déjà marquante, du saxophone, Emile Parisien, ainsi que Vincent Peirani à l’accordéon et Jérôme Regard à la contrebasse, pour une vibrante démonstration de leur talent et de la vitalité du jazz en France. Passant à la moulinette de leur inventivité valse, jazz et improvisation, ils jouent une musique libre et colorée, non dénuée d’humour, qu’ils habitent merveilleusement. Les lignes croisées du soprano et de l’accordéon sont d’une extrême richesse et donnent le tournis tant leur virtuosité sert des improvisations remarquablement construites et inspirées. La fraîcheur de ce groupe est revigorante. Mais avant tout on a là la confirmation de musiciens exceptionnels, qui ont franchi le cap du « jeune prometteur » pour s’affirmer en musiciens passionnants. Et le public ne s’y trompe pas qui les applaudit chaleureusement.

Francesco Bearzatti Photo Philippe Méziat

Pour finir cette première soirée sur les bords de l’Erdre, rendez-vous était pris avec Francesco Bearzatti et son quartet pour son programme autour de Malcolm X. Le saxophoniste italien avait donné un concert resté dans toutes les mémoires en 2008, avec ce même groupe et un répertoire composé autour de la vie de Tina Modotti. Ce concert suscitait donc une grande attente. Malheureusement, la scène nautique, réservée aux têtes d’affiche, est située sur l’eau et, loin des berges, ne se prête pas bien au spectacle du quartet, dont la musique se perd dans ce volume à remplir. Ajoutez à cela des problèmes de sonorisation (grésillement pendant la seconde moitié du concert), et voilà : légère déception. Pourtant, les quatre Italiens sont faits pour la scène, leur talent et leur énergie débordante font le bonheur des spectateurs. Ils se nourrissent des différentes ambiances qui traversent le répertoire composé par Bearzatti et multiplient les perspectives, dessinant un portrait haut en couleurs du leader noir américain. Francesco Bearzatti a constitué un quartet de rêve, avec Giovanni Falzone qui prouve une nouvelle fois qu’il est un trompettiste remarquable et un « bruiteur » délirant, la basse électrique de Danilo Gallo, qui surfe entre rock, funk et jazz, et la batterie fondatrice de Zeno De Rossi, maître rythmicien s’il en est. De quoi libérer un leader à la technique exceptionnelle, que ce soit au saxophone ou à la clarinette ; on aura droit à des solos furieusement engagés et parmi les plus inventifs du moment. Au final, on ressort frustré de ce concert que l’on aurait aimé voir sur la scène Sully, décidément la plus adaptée aux petites formations.

Un programme des plus alléchants nous attend ensuite, dont un hommage à Ornette Coleman et Don Cherry concocté par une figure emblématique et tutélaire du jazz nantais en la personne de Jean « Popof » Chevalier. A la tête d’un quartet regroupant François Ripoche et Steve Potts aux saxophones et Simon Mary à la contrebasse, ce batteur prend un malin plaisir à nous rappeler la modernité de l’œuvre des deux géants américains, pour un concert salutaire formidablement accueilli par les centaines de spectateurs présents. Parfaitement propulsés par la paire Chevalier/Mary, Potts et Ripoche ont pu faire apprécier leurs jeux complémentaires, s’épanouissant dans un répertoire bien senti.

Photo Philippe Méziat

Après cette réussite, il était temps de découvrir ce qui s’annonçait comme un des concerts majeurs du festival avec le trio de Stéphane Kerecki enrichi par la présence de Tony Malaby, déjà présent sur Houria. Voilà un quartet homogène où personne ne tire la couverture à lui et qui respire le plaisir de jouer. Portés par Kerecki et Thomas Grimonprez, les deux saxophonistes s’engagent dans un échange inspiré où la confrontation des styles vient nourrir la musique du groupe et la porte au firmament de ce que le jazz actuel peut offrir. Malaby est un géant qui s’affirme à chaque intervention comme un des saxophonistes contemporains qui marqueront l’histoire. Alliant talent d’improvisateur hors norme et sonorité exceptionnelle, il nous offre quelques moments magiques, notamment dans sa capacité à réinventer perpétuellement le matériau musical proposé, et affiche son bonheur de jouer avec ses trois hôtes. Mais le jazz français est riche et Matthieu Donarier en est le parfait exemple. Passant du soprano au ténor comme Malaby, sa maîtrise technique et rythmique et l’originalité de ses lignes complètent magnifiquement le jeu de l’Américain. Et quand les deux saxophonistes dialoguent ensemble, la musique décolle littéralement. Toutefois, rien ne serait possible sans Kerecki et Grimonprez, dont la musicalité et la complémentarité forment un socle qui ouvre perpétuellement des voies où ils peuvent s’engager. Cerise sur le gâteau, l’arrivée de Steve Potts, à la fin du concert, pour un « Macadam » exceptionnel. On ne redira pas ici ce que le disque Houria nous avait inspiré, mais ce soir on a la confirmation que ce quartet est grand et que la rencontre de ces quatre-là va au-delà d’un simple travail de studio sans lendemain.

Pour clore ce tour d’horizon, petit détour par la Chapelle-sur-Erdre – le festival s’étend sur plusieurs communes traversées par la rivière – pour (re)découvrir Rigolus emmené par Thomas de Pourquery. Avec un casting légèrement remanié par rapport au concert angevin de la semaine précédente, le septet poursuit son œuvre de déconstruction, digestion, recréation en malaxant et mélangeant tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une influence : la variété, le rock, les parodies, le jazz… Alliant talent musical, délire vocal et chorégraphie à l’avenant, Rigolus réussit son pari de faire de l’humour sans sacrifier la qualité musicale ni tomber dans la facilité. Et quel talent pour s’adapter aux impondérables ! Dès que Thomas de Pourquery annonce « I Want To Die With You » et que retentit le premier accord… la sonorisation saute, tout s’éteint…. Qu’importe, Rigolus se mue en septet acoustique et déambule entre les spectateurs assis dans l’herbe, ajoutant la fanfare à sa panoplie de dynamiteur musical. Un concert en forme de happy end (c’est aussi celui du groupe, du moins sous ce nom), loin du tumulte de la ville, dans un cadre champêtre où les spectateurs ont dansé et chanté en toute simplicité.

Photo Philippe Méziat

Les Rendez-Vous de l’Erdre sont un festival populaire dont l’affiche éclectique et de qualité offre une vitrine au jazz contemporain mais aussi à la scène locale – régionale ou départementale –, au blues, ou encore au jazz plus ouvert aux influences world ou électro.
Une question subsiste : où « disparaissent » donc ces milliers de personnes le reste de l’année puisqu’entre septembre et juillet elles ne fréquentent pas les concerts du Pannonica, par exemple ? Elles y trouveraient pourtant une programmation proche de celle de la scène Sully.


Le photoreportage de Frank Bigotte