Chronique

Luís Lopes & Julien Desprez

Boa Tarde

Luís Lopes (g), Julien Desprez (g)

Label / Distribution : Clean Feed

Parfois, l’ironie brûle, mord tel un mauvais acide. Autant se dire que quand deux guitaristes comme Luís Lopes et Julien Desprez s’engagent dans un duo pour vous souhaiter un bon après-midi (Boa Tarde en portugais, le titre de l’album), il faut se préparer à du brutal et du sardonique. Pas forcément des grands élans saturés et des concours de manche, mais bien plutôt des sons grouillants, suppurant des dispositifs électriques à grands renfort de pédales, objets et autres boutons improbables. Le résultat ne tarde pas à inonder « Iris », le premier morceau de ce disque paru chez Clean Feed : un bourdon tenu, à peine troublé par de petits écueils, des poussières qui s’agglutinent peu à peu en pierrailles et font parler les watts. Mais même à ce moment, la décharge électrique qui prend le relais et crée un sentiment de malaise chancelle et s’enferre dans un vortex bruitiste. Bon après-midi, mais faites attention à l’apocalypse.

La rencontre du Français et du Lusitanien était attendue, souhaitée même ; chacun de son côté avait croisé Noël Akchoté, passage obligé de l’art guitaristique avec des prestations sœurs. De la même façon, avec Humanization Quartet ou avec DDJ, ils avaient abordé une musique aux confins du jazz, du rock ou de la noise. Plus encore, avec leurs solos respectifs (Acapulco pour Desprez, Love Song pour Lopes) ils avaient intimement exploré le son, ressenti leur vision du monde par l’électricité, fait corps avec l’instrument jusqu’à en devenir le prolongement dans une sorte de transhumanisme fusionnel… Deux guitaristes radicaux qui ne s’embarrassent pas de joliesse, à l’image de « Gracinda » qui ferraille entre deux improvisateurs au jeu sec, hérissés de zébrures agressives. Bon après-midi, prenez garde aux chausse-trappes.

Ce disque n’est certes pas à mettre entre toutes les mains. A l’écoute de « Constança », titre ramassé et caniculaire en guise de final, certains pourraient ne percevoir qu’une oscillation tonitruante et fébrile. Mais si l’on sait mettre de côté ses repères et se laisser porter, ce qu’appelle intrinsèquement cette musique aride, on trouvera des belles oasis dans le désert, camouflées derrière les dunes et les plaines, infertiles d’aspect mais qui grouillent contraire de matière organique vivante et affamée. Bon après-midi, attention aux morsures. Vous risqueriez d’être contaminés.