Chronique

Maki Nakano & Stéphane Tsapis

Musique pour quatre mains et une bouche

Maki Nakano (as, cl, voc), Stéphane Tsapis (p)

Label / Distribution : OpenMusic Records

Repéré l’année dernière au sein de son excellent quintet Kaimaki, le pianiste Stéphane Tsapis est un remarquable conteur. Sa proximité avec des musiciens comme Benjamin Moussay ou Matthieu Donarier implique une simplicité, une limpidité que l’on retrouve dans ce duo avec Maki Nakano. Cette saxophoniste nippone, installée en Europe depuis plus de vingt ans, est connue pour ses collaborations avec le quartet Mamabaray où l’on retrouve notamment Raymond Boni, mais aussi dans l’orchestre de Yoram Rosilio. Animatrice du duo Ky avec le guitariste Yann Pittard, elle a fondé OpenMusic Records, label franco-japonais passionnant qui édite cette Musique pour quatre mains et une bouche.

Point n’est besoin de beaucoup de notes pour déceler l’amitié et l’intimité qui sont le sceau de cet album. « En attendant… » et « … Igor », les deux morceaux inauguraux en forme de miniatures satiesques, sont une petite douceur poétique qui plonge vers les Balkans. L’alto et le timbre incroyablement doux de la métallo-clarinette caresse un piano plein de légèreté. Voilà pour les quatre mains ; la bouche, quant à elle ne se contente pas de faire sonner les anches. Nakano chante, avec une pointe d’accent troublant, une version éthérée du « J’ai deux amours » cher à Joséphine Baker. Le décor est planté. Entre deux lieux, entre deux mondes, le cœur cristallise les instants. Le duo se pose sur des petits détails comme autant de haïkus colorés : des « Poissons rouges » pleins d’abstraction semblent tracer un sillage dans le souffle granuleux de Maki Nakano. Un léger frétillement dans « L’effleurement du têtard » et le piano se pare d’inédits impromptus dignes de Germaine Tailleferre…

Car ce qui frappe avant tout ici, c’est justement que la musique aime à déambuler dans l’univers impressionniste du Groupe des Six. C’est avec beaucoup de décontraction que Tsapis et Nakano sertissent d’intimité leur « Berceuse - pour tous les enfants » douce et susurrée. S’ils empruntent aux Années folles un bonheur inquiet, celui-ci se transforme en mélancolie légère (« En flânant »). Par ailleurs, une chaleureuse reprise de Monk (« Reflections »), ainsi que le « Peace » d’Ornette Coleman, auquel Tsapis et Nakano doivent manifestement beaucoup, confirment que sous des dehors chambristes, le duo verse dans un jazz épris de Liberté. En rappelant que le Groupe des Six et le jazz moderne sont des parents pas si éloignés, il assène une essentielle évidence : cette musique est une. Elle est universelle.