Chronique

No Noise No Reduction

Au doux combat me joindre

Marc Démereau (bs, comp), Marc Maffiolo (sax basse), Florian Nastorg (sax basse).

Label / Distribution : Mr Morezon

Ces trois-là sont des costauds et ce ne sont pas les spectateurs du récent festival Musique Action de Vandœuvre-lès-Nancy (le dernier enfant du regretté Dominique Répécaud disparu à l’automne dernier) qui diront le contraire, eux qui ont pu découvrir leur idiome en forme de brûlot. Car ces Toulousains auront été à coup sûr l’une des belles surprises d’une manifestation qui fêtait sa trente-troisième édition. Des types forts en anches qui ne reculent en outre devant aucune contradiction en baptisant leur trio No Noise No Reduction, prenant ainsi le risque d’induire chacun d’entre nous en erreur.

No Noise ? Pas sûr puisque du bruit, ils en font et ont l’air d’aimer ça. Mais un bruit organique et organisé, puissant, né de leurs tripes, celui d’une fureur de souffler jusqu’à l’épuisement une musique rageuse dont la texture sonore est pour le moins atypique et sonde les registres les plus graves de leurs instruments. Marc Démereau (saxophone baryton), Marc Maffiolo et Florian Nastorg (saxophones basse) sont les valeureux gardiens d’un temple qui n’appartient à aucune chapelle, sauf peut-être celle d’une démesure libertaire où coagulent des énergies héritées autant du rock, du punk que du jazz ou autres avant-gardismes exaltés.

No Reduction, vraiment ? Elle semble pourtant bien réelle au contraire, elle a même des allures de concentré et on nous pardonnera de filer la métaphore culinaire : certes ils sont trois – une sorte de cellule – mais ils n’en parviennent pas moins à extirper jusqu’à la dernière goutte le suc de compositions obstinées. Leur interprétation est pour ces athlètes le prétexte à un dialogue enfiévré où la parole circule à grande vitesse, au fil d’acrobaties en forme de joutes. Chacun des trois musiciens est tour à tour rythmicien et mélodiste, mais aussi bruiteur, adepte des becs qui claquent et des forces qui agitent le corps de soubresauts. Parfois les notes s’étirent en longueur au lieu de se bousculer, non pour susciter l’apaisement mais au contraire pour ajouter à la tension ambiante. Il faut souligner l’originalité de ce qui s’apparente à un exploit tout autant physique que musical, à peine altéré par sa version discographique. Ce n’est pas là un mince compliment, soit dit en passant. Et parce qu’il se souvient que nos existences racontent souvent des histoires au plus près des corps, le trio puise du côté d’un Ronsard érotomane le titre de son disque : Au doux combat me joindre. Des mots extraits de « Lance au bout d’or », un texte scandé dans une composition homonyme : « Lance au bout d’or, qui sais poindre et oindre / De qui jamais la roideur ne défaut / Quand, en camp clos, bras à bras, il me faut / Toutes les nuits au doux combat me joindre ».

No Noise No Reduction fait partie du collectif Freddy Morezon, une association active depuis une quinzaine d’années dans la région de Toulouse dont la ligne artistique clairement affichée est de « dire les choses autrement, surprendre, proposer et explorer des chemins de traverse ». Au doux combat me joindre en est une belle illustration, sur laquelle on peut se précipiter sans craindre de se perdre un seul instant. Voilà une musique sans étiquette, certes, mais gorgée de l’essentiel : la vie.