Scènes

On ira tous au Peirani

Nancy Jazz Pulsations – Chronique 3 – Samedi 13 octobre 2018, salle Poirel – Diego Imbert « Tribute To Charlie Haden » / Vincent Peirani Living Being II « Night Walker »


C’est un double concert qui est proposé salle Poirel avec deux histoires de jazz très différentes, presque antagonistes. D’un côté, un hommage discret rendu au contrebassiste Charlie Haden ; de l’autre, une musique explosive où la puissance et l’électricité du rock pointent le bout de leur nez dans un répertoire franchissant les siècles.

Mon camarade Olivier Acosta dit bien les choses dans sa chronique de Tribute To Charlie Haden, un hommage rendu par le contrebassiste Diego Imbert à celui qui, c’est une évidence, figure en très bonne place dans son Panthéon : « la musique évoque le Charlie Haden des albums sages : celui qui faisait si bien respirer ses lignes de basse aux côtés de John Taylor ou Pat Metheny, qui posait ses graves sur les tapis soyeux des arrangements, plus que le jeune aventurier un peu fou ayant évolué aux côtés d’Ornette Coleman ou de Don Cherry ». C’est vrai qu’entouré de son vieux complice André Ceccarelli à la batterie et d’Enrico Pieranunzi, pianiste ayant joué aux côtés de Haden, Imbert tire le plus souvent sur la corde tendre, avec une suavité d’autant mieux exprimée qu’il s’adjoint les services d’un ensemble à cordes et à vents dirigé par l’incontournable Pierre Bertrand. Tout se passe en douceur, et lorsque le rythme s’élève, c’est en général quand le trio joue seul et bat le rappel du groove. Comme sur « Lennie’s Pennies », par exemple, une composition de Lennie Tristano que Charlie Haden avait souvent joué, notamment avec Pieranunzi. On est là aux confins du jazz et de la musique de chambre, très loin du free jazz Colemanien ou de la révolte façon Liberation Music Orchestra. C’est le choix assumé par Diego Imbert, celui de la discrétion et de l’humilité. En attendant, peut-être, la célébration de cet aventurier dont il est question un peu plus haut. Le portrait sera alors complet !

Diego Imbert © Jacky Joannès

Dans une récente émission de radio consacrée à NJP, j’ai fait le pari que le concert du Living Being de Vincent Peirani serait l’un des temps forts du festival, sinon son sommet. L’accordéoniste pourrait bien me donner raison, si j’en juge par la prestation de son quintet, que le public aura rappelé debout deux fois. Night Walker, le deuxième disque du groupe, est une splendeur à écouter d’urgence et c’est son répertoire que Peirani et ses partenaires ont interprété avec une intensité peu commune.

Avec Living Being, qui commence « son deuxième septennat », on évolue entre compositions personnelles émouvantes (« Enzo »), progressions obsédantes (« Night Walker ») et des reprises chevauchant les siècles, de Purcell (« What Power Art Thou ») à Led Zeppelin (la suite « Kashmir To Heaven »), sans oublier le duo Sonny & Cher en droite ligne des années 60 (« Bang Bang »).

Vincent Peirani © Jacky Joannès

Living Being est – je reprends ici les termes de Vincent Peirani lui-même – un orchestre de chambre rock. On ne saurait mieux le définir en effet. De la délicatesse à l’explosion électrique, il n’y a qu’un pas que les musiciens franchissent avec un engagement profond dans leur musique. Compagnon et complice de Peirani en maintes occasions, Émile Parisien est littéralement traversé par sa musique ; son corps danse, paraissant se désarticuler, en même temps que son saxophone soprano entre en fusion. Quand il ne joue pas, il reste en mouvement, comme envoûté. Il faut bien sûr mentionner les trois autres artificiers : Tony Paeleman aux claviers, dont la créativité est celle, aussi, d’un designer sonore ; enfin, la paire rythmique surpuissante composée de Julien Herné à la basse électrique et de Yoann Serra à la batterie. Surtout, on n’oubliera pas de souligner une fois encore que Peirani, pour imposant qu’il soit, est un leader altruiste qui accorde une large place à ses compagnons de route. Living Being est un groupe soudé.

Le concert a passé vite, très vite. Au moment de sortir, on rêve de l’écouter dans la fièvre si particulière du Chapiteau de la Pépinière, qui n’est pas si loin et pourrait jouer le rôle du catalyseur des énergies qui viennent d’être déployées devant nous. La prochaine fois ?

par Denis Desassis // Publié le 14 octobre 2018
P.-S. :

Sur Scène

  • Diego Imbert Tribute To Charlie Haden : Diego Imbert (contrebasse), Enrico Pieranunzi (piano), André Ceccarelli (batterie) + Pierre Bertrand (flûte, saxophone soprano), Philippe Leloup (clarinette), Ariane Bacquet (hautbois), Johann Renard et Caroline Bugala (violon), Grégoire Korniluk et Paul Colomb (violoncelle).
  • Vincent Peirani Living Being II : Vincent Peirani (accordéon, accordina, voix), Émile Parisien (saxophone soprano), Tony Paeleman (claviers), Julien Herné (basse), Yoann Serra (batterie).

Sur la platine