Chronique

PJ5

Trees

Paul Jarret (g, effets, comp), Maxence Ravelomanantsoa (ts), Léo Pellet (tb), Alexandre Perrot (b), Ariel Tessier (dms)

Label / Distribution : Gaya Music / Socadisc

Le quintet du guitariste Paul Jarret poursuit son chemin avec cette assurance tranquille qu’il est bon de souligner, tant les qualités de Trees confirment les espoirs qu’on avait déjà pu placer en ce groupe récompensé en 2011 au Concours National de La Défense Jazz Festival.

Après Floor Dance (2012), son premier EP, puis Word (2014), ce nouveau disque se présente comme une sorte de concept album dont le fil rouge serait celui de l’arbre. Ce thème générique traduit la préoccupation de Paul Jarret pour toutes les questions (et les angoisses) relatives à l’écologie et aux dangers que font courir nos modes de consommation à notre planète et à ses ressources.

La dimension symbolique de l’arbre – patience, sagesse, mystère et beauté – donne le la d’un disque qui, au-delà de l’inquiétude que suscitent les excès des hommes, est porteur de sérénité, à l’instar de « The Ancient Law ». Voilà une composition sur fond de bruissement de feuilles et accords de guitare acoustique qui ouvre la voie à l’association, pleine d’onctuosité, entre le saxophone ténor de Maxence Ravelomanantsoa et le trombone de Léo Pellet. Ces deux-là impriment une marque lyrique qui constitue sans nul doute un des points forts du disque (et du groupe depuis ses débuts), tant il semble difficile de les prendre en défaut d’inspiration et surtout, de jubilation.

Trees, plus encore que ses prédécesseurs, vous plonge au cœur d’un idiome contemporain dont les mélodies revendiquent volontiers une esthétique pop. Ce qui ne saurait signifier légèreté, mais plutôt brassage des influences dans lesquelles ces jeunes musiciens baignent depuis leur enfance. Un regard vers d’autres scènes que confirme « This Is Not The Sun » dont la rythmique binaire est emmenée avec toute l’énergie requise par Alexandre Perrot (contrebasse) et Ariel Tessier (batterie). L’occasion aussi pour Paul Jarret de fourbir un riff de guitare surgi d’un hard rock noueux avant de céder la place aux déambulations sinueuses d’un saxophone ténor volontiers plus free. PJ5 est assurément un point de jonction entre univers musicaux qui ne demandent qu’à unir leurs forces.

Et, bien que mené par le guitariste qui a en outre composé tout le répertoire, le quintet est un collectif compact dont le leader ne cherche jamais à tirer jamais la couverture à lui. Même si ses interventions sont toujours décisives, Paul Jarret sait être économe de ses chorus : il se concentre avant tout sur un travail de fond qui englobe avec la même intensité le rôle de rythmicien et celui de designer sonore recourant aux effets électroniques. Le climat qu’il imprime à « Kallsjön » est à ce titre exemplaire : aérienne, pour ne pas dire planante – pas si éloignée d’un David Gilmour – cette composition porte un regard contemplatif porté vers le ciel et les éléments, avant que sa deuxième partie ne renvoie durant quelques instants à l’esthétique du Mike Oldfield de l’album Incantations.

PJ5, tranquillement, élabore une grammaire qu’on qualifiera volontiers de jazz rock progressif, aux accents parfois folk (l’introduction de « Scorched Earth » ou les arpèges du mystérieux « Walden ») dont certains thèmes seraient, si le jazz bénéficiait d’autres voies de diffusion, de possibles hits (« The Teaser », le très accrocheur « Yggdrasil » et son valeureux combat saxophone / batterie, « Matchbox » et sa mélodie limpide en forme de chanson sans paroles). Et s’il sait s’abandonner à des méditations aux nuances éthérées (« Trees », qui évoque de loin « El Condor Pasa »), le quintet ne saurait se laisser enfermer dans ce seul cercle de couleurs chatoyantes : il peut aussi raconter un monde plus sombre, moins rassurant, dont les incertitudes nourrissent l’inquiétude. Ce qu’il accomplit avec le passionnant « Waldeinseimkeit » dont la tension ne cesse de monter tout au long de ses six minutes : une batterie bruitiste et nocturne, un contrebasse ombrageuse jouée à l’archet, un saxophone proche du cri, quelques perturbations électroniques…

Sur la pochette de Trees, il est écrit que notre monde gagnerait à s’inspirer des arbres qui représentent le respect, la paix et la vie. Nul ne prétendra le contraire. On se rend compte à l’écoute de ce disque en tous points réussi que Paul Jarret et ses musiciens ont bien fait de se passionner pour les arbres et de suivre leur enseignement séculaire. Leur sève circule dans la musique de PJ5 à qui on souhaite une longue vie de sagesse et de fertilité.