Chronique

Pan-Scan Ensemble

Air And Light And Time And Space

Label / Distribution : PNL

Le Pan & Scan, c’est cet odieux charcutage des films en CinemaScope pour qu’il puissent rentrer dans les timbres-poste de nos écrans domestiques. Un recadrage, en un mot, qui se concentre sur l’essentiel en expurgeant les détails ; une méthode qui, si elle est une catastrophe cinématographique, peut avoir bien des vertus dans les musiques créatives. Ce n’est pas le percussionniste norvégien Paal Nilssen-Love (PNL, comme son label) qui nous contredira. Le célèbre membre du trio The Thing, compagnon régulier de fortes têtes comme Peter Brötzmann ou Otomo Yoshihide mène avec son Pan-Scan Ensemble une forme très resserrée de Big Band. Un nonet où le batteur Ståle Liavik Solberg, un ami ancien de Fred Lonberg-Holm, rejoint PNL dans une position centrale, non loin du pianiste suédois Sten Sandell. Dans ce concert enregistré dans un club d’Oslo, le clavier fait grand usage de clusters dévastateurs, hérités sans doute de sa carrière d’interprète contemporain. C’est une base rythmique puissante mais capable de laisser beaucoup d’espace aux six soufflants.

Parmi les anches et les embouchures, pas de place non plus pour l’extravagance : avec trois trompettistes masculins (dont Goran Kafjes, récemment entendu dans Angles 9) et autant de saxophonistes altos féminins à l’image de la danoise Lotte Anker, par ailleurs au ténor, le Pan-Scan cherche une unité. Il vise même une centralité qui se construit peu à peu dans « Air And Light ». Les deux batteurs déterminent un périmètre dédié à l’improvisation, rapidement investi par les trompettes, véritables boutefeux. Emil Strandberg, jeune espoir suédois qui a régulièrement collaboré avec Sandell et Thomas Johansson, sociétaire du Large Unit de PNL, est toujours sur le qui-vive. Tous cherchent dans le moindre souffle une anfractuosité au sein des trames parfois brutes des altistes Anna Högberg et Julie Kjær. Cette dernière, qu’on entend également à la flûte quelques instants dans le premier tiers de l’intense « Time And Space », est très en pointe sur ce live. La mécanique brute de la galaxie Brötzmann n’est jamais loin, en témoigne le mitan chaotique de « Time And Space ». C’est néanmoins au Resonance Ensemble de Ken Vandermark auquel on pense le plus souvent pour sa précision d’horloger.

On l’aura compris, le Pan-Scan Ensemble est très cadré, avec un rapport de forces travaillé entre les pupitres en présence. Sur la scène minuscule, les musiciens portent une attention particulière aux dynamiques. Trois familles d’instruments, mais aussi trois pays. La Norvège naturellement, mais également la Suède et le Danemark, des scènes qui depuis longtemps se mélangent. Ainsi Pan-Scan ne schématiserait pas seulement la densité de l’orchestre, mais son scandinavisme [1]. Une musique en liberté qui n’a pas besoin de transgresser des frontières uniquement formelles, voilà ce qui définit au mieux le nouveau disque de Paal Nilssen-Love. Le Pan-Scan(dinavisme) Ensemble exalte les quatre éléments propices à la naissance de la vie (« Air And Light ») et sa pleine conscience (« Time And Space  »). Voici qui constitue l’abscisse et l’ordonnée d’une musique palpitante et foncièrement magnétique… Ce qui est la moindre des choses, si près des pôles !

par Franpi Barriaux // Publié le 18 juin 2017
P.-S. :

Paal Nilssen-Love (dms, perc), Anna Högberg (as), Julie Kjær (as, fl), Lotte Anker (as, ts, ss), Emil Strandberg (tp), Goran Kafjes (tp), Thomas Johansson (tp), Sten Sandell (p), Ståle Liavik Solberg (dms, perc)

[1Mouvement politique du XIXe siècle qui théorisait l’unité de la Suède, de la Norvège et du du Danemark qu’on appelle en anglais Pan-Scandinavism…