Chronique

Prysm

Five

Pierre De Bethmann (p, Rhodes), Christophe Wallemme (b), Benjamin Henocq (dms), Rosario Giuliani (as), Manu Codjia (g).

Label / Distribution : Plus Loin Music / Abeille Musique

Un disque sorti au printemps dernier qui brandit fièrement les couleurs d’une joie manifeste, celle des retrouvailles volubiles de vieux complices au meilleur de leur forme… Prysm est de retour : alléluia !

Un bref rappel historique, sans doute pas inutile. Prysm est un trio (Pierre De Bethmann, Christophe Wallemme et Benjamin Henocq) de leaders-compositeurs, équilatéral, donc, et bien équilibré, qui connut le succès au milieu des années 90 au point de signer - privilège ! - chez Blue Note et de vivre quelques expériences internationales en compagnie de solistes de haut niveau (Lee Konitz, Philip Catherine ou Paolo Fresu), voire aux côtés de James Taylor à l’occasion d’une tournée américaine avec un orchestre symphonique. Ce trio aura été, il faut le souligner aussi, un animateur essentiel de la scène musicale pendant sept ans, jusqu’à sa dissolution après quatre albums unanimement salués : Prysm (1997), Second Rhythm (1998), Time (1999) et On Tour (2001).

Autant dire que sa résurrection en 2009, à la faveur d’une résidence au Sunside (Paris) puis à l’Opéra de Lyon, eut de quoi ravir les nostalgiques, même si les trois musiciens avaient, entre-temps, fait aboutir de fructeux projets individuels (par exemple l’Illium quintet, puis septet, de Pierre De Bethmann et, avec Christophe Wallemme, le très beau Namaste. C’est aussi à l’occasion de son séjour dans la capitale des Gaules que Prysm a enregistré ce nouveau disque qui, logiquement baptisé Five, revisite un répertoire connu. On savoure donc à nouveau le charme vivifiant de sa musique, enrichie par la présence de deux personnalités très différentes mais qui s’accordent bien avec l’énergie bouillonnante du trio dont, à l’évidence, la joie de jouer est totalement préservée. Mieux, tout indique que cette longue pause de huit ans a engendré une nouvelle dynamique : Rosario Giuliani (saxophone alto) et Manu Codjia (guitare) ajoutent leurs couleurs et nourrissent le flux goûteux d’un Prysm débordant d’une saine énergie. Cette conjonction de talents – dont l’enregistrement restitue au mieux la fièvre communicative, soulignons-le – s’exprime aussi bien dans les temps collectifs des deux concerts (à l’Opéra de Lyon, un par invité) que dans les moments d’expression individuelle, à la fois enflammés et empreints de sérénité. Les tourneries de Pierre De Bethmann, propulsées par une paire rythmique inspirée, trouvent sous l’impulsion des deux invités un terreau fertile à leur épanouissement. Il y a là, c’est flagrant, l’expression du bonheur sincère d’être ensemble et d’avancer coûte que coûte.

Five est un disque brillant, virtuose et habité d’une sorte de nécessité heureuse, celle qui pousse des artistes complices dans leurs meilleurs retranchements. De Bethmann, Wallemme, Hénocq et leurs invités administrent ici une démonstration éclatante, non pas d’un savoir-faire virtuose que nul ne saurait leur contester, mais d’un savoir-être essentiel, d’une solide amitié forgée au fil des expériences. Ferveur et respect mutuel éclatent au grand jour tout au long de ces 66 mn de musique tonique. On leur sait gré de s’être réunis : l’énergie qu’ils délivrent est salutaire. Et on attend la suite, forcément.


En marge de la publication de « Five » et avant les prochains concerts du trio, dont l’activité a été réduite au printemps 2011 du fait d’une blessure à l’épaule subie par Pierre De Bethmann, nous avons prié les trois musiciens de répondre, chacun de leur côté, à quelques questions. Nous publions ici l’intégralité de cet échange : on devine la complémentarité des membres de Prysm et l’admiration mutuelle qu’ils se portent, ainsi que leur désir de revivre de nouvelles aventures ensemble.

  • Le retour discographique de Prysm, après quelques concerts et une résidence à Lyon, où Five a été enregistré, en 2009, signifie-t-il qu’après une longue absence (presque dix ans), le trio va exister à nouveau de façon régulière ?
  • Pierre De Bethmann : Nous le souhaitons, tout en prenant soin d’avancer pas à pas. Depuis deux ans, il me semble que nous vivons ce retour au jour le jour, depuis l’invitation de Stéphane Portet à l’occasion d’une date anniversaire du Sunset-Sunside, jusqu’à celle de François Postaire, qui nous a donc proposé une semaine à l’Opéra de Lyon. Nous nous sommes assez naturellement pris au jeu, jusqu’à vouloir ce projet de disque. Et si celui-ci sort, c’est bien pour pousser encore l’expérience, et donc jouer.
  • Benjamin Hénocq : Pour l’instant nous savourons la sortie de ce nouvel album, suivie de concerts prévus cette année, même si nous avons chacun nos projets personnels. Aujourd’hui nous vivons le moment présent.
  • Christophe Wallemme : En sortant notre cinquième CD, Five, notre objectif est bien évidemment de jouer en concert, a priori en quartet.
  • Le temps de trois albums studio et d’un live, entre 1997 et 2001, Prysm a reçu un accueil enthousiaste et puis… vous êtres partis vers d’autres horizons après une durée de vie finalement assez courte. Pourquoi ?
  • PDB : Prysm a en réalité démarré en 1994, ce qui fait presque huit ans d’activité quand même ! Je pense qu’en 2001 nous avons ressenti un essoufflement qui appelait cet arrêt. Continuer aurait à mon sens consisté à « forcer le jeu », et j’ai le sentiment qu’aucun de nous ne voulait cela. Enfin je crois aussi que chacun se sentait attiré vers d’autres formules dont le lancement réclamait, à cette période, une énergie peu compatible avec la poursuite de Prysm dans sa formule originale.
  • BH : A l’époque, nous avions un cinquième disque optionnel chez Blue Note mais nous avions beaucoup tourné et une envie commune de changement ; étant tous les trois leaders et compositeurs, nous avions envie d’explorer de nouvelles voies individuelles. Ces années furent fructueuses et nous revenons chacun avec de nouvelles influences.
  • CW : Nous avons vécu ces années Prysm avec une intensité incroyable, toutes ces rencontres, toutes ces tournées nous ont fait vivre une aventure musicale hors du commun pour un groupe de jazz. Mais le jazz, c’est par définition la liberté, l’improvisation et je crois que la peur de rentrer dans une éventuelle routine a été l’une des raisons de cet arrêt.
  • Sur Five, Prysm s’agrandit en faisant appel à Rosario Giuliani ou Manu Codjia. Vous vous sentiez à l’étroit dans la formule en trio ?

PDB : Je dirais que nous nous sentons surtout enrichis par la formule du quartet, avec des invités à qui nous avons proposé notre répertoire et qui ont joué le jeu, assez magistralement à mon sens. Entre 1994 et 2001, nous avions souvent joué en situation de rythmique accompagnant un soliste, mais à l’exception notable de Paolo Fresu, une fois, aucun de ces solistes n’a joué notre répertoire, à l’époque. De mon point de vue, ça change pas mal la donne.

  • BH : Nous avions envie de revenir avec une formule étendue et différente. Après quatre CD en trio, il était intéressant d’élargir les perspectives, mais c’était aussi une question de rencontres ; de plus, la résidence à l’Opéra de Lyon fonctionne sur le principe « un groupe + des invités ». Nous en avons donc profité pour inviter Rosario et Manu, qui se sont investis avec grand talent.
  • CW : Pas particulièrement, mais nos cartes blanches au Sunset puis à l’Opéra de Lyon nous ont permis de jouer avec des musiciens exceptionnels. De là, et par pur hasard, finalement, est né Five, un live non prémédité, donc sans pression, spontané (à l’origine il a été capté par l’ingénieur du son pour les archives de l’Opéra de Lyon), ce qui, à mes yeux le rend encore plus intéressant.
  • Cette ouverture à un « quatrième membre du trio » vous donne-t-elle envie de continuer dans cette voie ? Et si oui, y a-t-il des musiciens avec qui vous aimeriez travailler ?
  • PDB : Il en est question, en effet. Depuis 2009, hormis Manu et Rosario à Lyon, nous avons aussi convié des musiciens aussi divers que Sylvain Beuf, Nelson Veras, Eric Prost, Jon Boutellier, dans des formules parfois variées mais toujours autour des morceaux de notre répertoire. Je pense pouvoir dire que nous avons adoré ces expériences. Et la présence exclusive de Manu et Rosario sur le disque est à la fois tout à fait assumée (car nous les admirons profondément, sans doute de par leurs différences mêmes), et quasi le fruit du hasard, car la décision d’enregistrer à l’Opéra de Lyon a été presque prise à la dernière minute ! Pour la sortie du disque, il paraît très naturel de faire les premiers concerts avec eux, mais à mon sens la liste, n’est pas close.
  • BH : Selon les occasions, nous allons jouer en trio mais aussi en quartet ou en quintet ou plus… Pour ce qui est d’autres invités, nous y réfléchissons.
  • CW : En effet, et pourquoi pas un quintet etc. La liste est longue et les possibilités nombreuses, mais il est un peu tôt pour se prononcer.
  • Vous vous êtres retrouvés après des années d’absence. En quoi les expériences accumulées entre-temps ont-elles fait évoluer votre travail au sein de Prysm ?
  • PDB : Ce que je ressens surtout, c’est une forme de relâchement, de simplicité dans la réflexion autant que dans le jeu. Avec un peu de recul sur ma petite histoire musicale, j’ai souvent l’impression de mener un combat de longue haleine contre mes propres rigidités. Et le Prysm actuel me donne l’impression que le temps, combiné à ce petit surplus de vécu, donne curieusement la force d’expérimenter davantage et de façon plus souple. Une des grandes joies de ce projet est de nous faire découvrir de nouvelles ressources à partir d’un répertoire que nous connaissons par cœur.
  • BH : Nous avons peaufiné notre écriture et notre jeu au sein de nos propres formations et groupes divers. En évoluant chacun dans divers contextes musicaux, c’est l’association, comme toujours, de nos différences en matière de jeu et de composition qui donne sa couleur à ce trio.
  • CW : Nous avons retrouvé la fraîcheur de nos premières années, avec un peu plus de maturité et d’expérience, et cela ne peut être que positif.
  • Pouvez-vous, en quelques mots, dresser le portrait de vos deux compagnons de route ?
  • PDB : Plutôt que de me hasarder à un portrait pseudo-objectif, je préfère dire ce qu’ils sont pour moi. Je me souviens parfaitement de ma rencontre avec chacun, Christophe dans un bœuf au Petit Opportun et Benjamin à l’occasion d’un bœuf à la Villa. Au-delà des compliments de circonstance, de l’admiration que j’avais pour leur science du tempo, des formes, du son, il m’a semblé évident que leur force de conviction musicale était exceptionnelle. Mieux, au fil des « années Prysm », il m’a semblé que ce trio co-dirigé tirait une force considérable du fait que nos univers musicaux d’origine n’étaient pas les mêmes. Je mesure donc ce que je dois à chacun d’entre eux, et il me semble que c’est à ce genre de fraîcheur que nous goûtons à nouveau.
  • BH : Nous avons un grand respect les uns pour les autres et une confiance artistique mutuelle et solide. Pierre et Christophe sont de super musiciens qui s’investissent à fond, comme les autres participants.
  • CW : Deux artistes accomplis, hors normes.

Merci à Pierre De Bethmann, Benjamin Hénocq et Christophe Wallemme d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.