Chronique

RogueArt - « Just Listen… »

Nouveau venu dans le monde des labels de jazz [1], RogueArt se démarque par son catalogue comme par l’esthétique de ses pochettes, qui rappelle certaines maisons d’éditions littéraires. L’exigence est ici le maître mot : les productions sont toujours de qualité, que ce soit dans le choix des groupes ou la prise de son. Citizen Jazz ayant déjà dit tout le bien qu’il pensait du disque de Michel Edelin, voici à présent un panorama de trois des derniers sorties de l’année.


J. Léandre & G. Lewis – Transatlantic Visions

Nouvelle rencontre musicale entre deux partenaires de longue date. Cette captation d’un concert donné dans le cadre du Vision Festival, proposent sept pièces comme autant de rencontres entre instrumentistes jouant de toutes les possibilités de leur instrument : contrebasse frappée, cordes frottées, pincées, tirées, d’un côté, de l’autre : jeux de bouche, souffle sous toutes ses formes, cuivre libéré, avec pour couronner le tout la voix de Joëlle Léandre. Une rencontre entre deux aventuriers avides de discussions musicales sans limites. Entre duos inhabituels et solos protéiformes, Léandre et Lewis voyagent durant près d’une heure à travers les paysages variés de la musique improvisée contemporaine. Certes, l’aventure doit être plus captivante en concert, mais l’existence de ce disque permet à tous de goûter quand même à ces moments par définition éphémères. A écouter et réécouter pour visiter en profondeur cet univers unique.


Indigo Trio – Anaya

Le premier disque de ces trois musiciens [2], nous avait laissé sur notre faim - frustration renforcée par les échos élogieux des concerts du groupe. On attendait donc avec impatience ce nouvel album, en espérant qu’il soit enfin à la hauteur de leur talent. Disons-le d’emblée : cette deuxième production de RogueArt cru 2009 autour d’un trio flûte- contrebasse-batterie (après l’excellent Kuntu de Michel Edelin) est une réussite. L’Indigo Trio s’enracine dans l’histoire musicale de Chicago, au sein même de l’AACM dont Nicole Mitchell assure la présidence. La Great Black Music à son summum : groove, jazz, improvisation, influences africaines et rythmique de luxe avec la paire Hamid Drake, fantastique polyrythmicien aux multiples nuances de jeu, et Harrison Bankhead, contrebassiste solide et mélodique. Les compositions, réparties entre les trois musiciens, naviguent entre balades et pièces plus enlevées, souvent enjouées. Les thèmes, magnifiques, donnent matière à de longues improvisations, notamment de la part de Mitchell, inspirée et impeccablement accompagnée par des deux compères qui prennent un malin plaisir à multiplier les pistes de jeu. L’envie de les voir en concert n’en est que décuplée !


L. Ochs Sax & Drumming Core + S. Fujii + N. Tamura – Stone Shift

Nonobstant sa récente mésaventure en Espagne, Larry Ochs est depuis plus de vingt ans une grande figure du saxophone, notamment via son travail avec le Rova Saxophone Quartet. On le retrouve ici à la tête d’une de ses récentes formations, le Sax & Drumming Core, que complètent deux batteurs, Scott Amendola et Donald Robinson. Pour ce nouvel album, le troisième de ce trio, il a invité le couple japonais Satoko Fujii, ici au piano et synthétiseur, et Natsuki Tamura à la trompette. Au départ, une longue introduction de Larry Ochs, accompagné par sa « machine à rythmes » Amendola/ Robinson. Sa superbe sonorité nous transporte aux confins d’un jazz libertaire et inventif, et les deux batteries - qui se complètent parfaitement - créent un canevas rythmique riche et complexe. Puis l’arrivée de Tamura et Fujii dynamite l’emsemble, le propulse vers un terrain plus free et par moments plus bruitiste. Durant quatre longues pièces (de 10 à 20 minutes) les deux batteurs, corps puissants de cette musique, proposent une même vision d’un jazz contemporain vu sous quatre angles différents mais laissent beaucoup d’espace à Fujii, Tamura et Ochs, entre fureur et lyrisme, déconstruction et architecture mouvante. Le duo Fujii/Tamura est actuellement un des plus passionnants et des plus prolifiques ; quant à Larry Ochs, il offre ici un de ses meilleurs disques. Les synthétiseurs de Fujii peuvent faire penser à une guerre des étoiles version free mais il n’en reste pas moins que Stone Shift livre un jazz contemporain qui n’oublie pas son histoire. A découvrir sur scène pour vivre toute la puissance de ce quintet.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 9 janvier 2010

[1Le premier disque, l’album de Hamid Drake & Bindu, date de 2005.

[2Paru sur le label de Dave Douglas, Greenleaf Music.