Chronique

Michel Edelin Trio

Kuntu

Michel Edelin (fl), Jean-Jacques Avenel (b), John Betsch (dr), Steve Lehman (as)

Label / Distribution : Rogue Art

A priori ce disque éveille doublement notre curiosité : tout d’abord, un trio flûte/contrebasse/batterie, c’est une formule rare en jazz, même si ces dernières années, l’Indigo Trio de Nicole Mitchell a su démontrer ses mérites. Ensuite, celui-ci a un fort accent français : Michel Edelin est aux flûtes, et Jean-Jacques Avenel reconstitue avec John Betsch l’une des paires rythmiques les plus marquantes de la carrière de Steve Lacy.

Que cachent ces promesses ? Notons pour commencer que l’objet en lui-même est fidèle à la ligne Rogue Art et son côté « édition littéraire » du plus bel effet. Sobre et classe, avec un beau texte de Gérard Rouy et une explication du mot Kuntu en langues bantoues par Edelin lui-même, qui conclut sur le mode philosophique. Voilà pour les présentations ; et maintenant, la musique !

L’album s’ouvre sur un des trois morceaux où Steve Lehman se joint au trio. Il est d’ailleurs intéressant de les comparer aux autres titres : le saxophoniste américain amène sa fougue, sa volubilité. Sa sonorité, acidulée, droite, et ses phrases vives complètent bien le son chaud, parfaitement maîtrisé d’Edelin. Ces « Hirondelles » ne sont pas sans rappeler l’univers de Dolphy, et on peut y voir une allusion quand on connaît l’amour qu’il vouait aux chants d’oiseaux.

Le reste de l’album repose sur des développements mélodiques empreints d’un lyrisme subtil. L’interplay entre musiciens est une des marques de fabrique de ce trio, avec notamment de passionnants échanges flûte/contrebasse et contrebasse/batterie. Le tandem Betsch/Avenel est décidément un des plus beaux qu’on puisse entendre ces temps-ci. Inventif tant sur le plan mélodique que rythmique, tout en relances et contrepoint, leur jeu est une magistrale leçon de musique, et Edelin n’est pas en reste…

Ce dernier signe ici toutes les compositions, dont le magnifique « 2-3-4-5 » ou encore « Lessson’s Choir », à quoi s’ajoute le « Ruby, My Dear » de Monk. Cette reprise clôt l’album à la flûte solo. Un grand et beau moment : comment, en un peu plus de deux minutes, vous mettre la tête à l’envers ! Il faut écouter aussi l’introduction de « Goût bulgare », où Avenel navigue autour des pièces pour violoncelle de Bach, ou encore « Tout simplement », une composition qui se situe entre Lacy et Monk. Voilà ce qui fait de Kuntu un des albums de l’année. Une simplicité, une joie de jouer contagieuses, et un invité à la hauteur de trois très grands musiciens.