Entretien

Sarah Murcia

Rencontre avec une musicienne qui évolue sans se soucier des étiquettes musicales.

Rares sont les musiciens dont on peut reconnaître l’univers en quelques notes. Ceux qui savent emmener les musiques populaires sur leur propre terrain sont plus uniques encore. La contrebassiste Sarah Murcia est de ceux-ci ; son jeu lumineux fait le bonheur de son orchestre Caroline, mais aussi de Kamylia Jubran ou de Sylvain Cathala notamment. En s’attaquant à l’album des Sex Pistols caché sous la célèbre et criarde pochette jaune poussin, Never Mind The Bollocks devenu dans un raccourci lumineux Never Mind The Future, la contrebassiste Sarah Murcia ne fait pas un pied de nez. Elle développe une idée directrice remarquable. Rencontre avec une musicienne qui évolue sans se soucier des étiquettes musicales.

- Quelle a été la démarche pour enregistrer ce disque autour de l’album des Sex Pistols ?

C’est le TCI (Théâtre de la Cité Internationale) qui m’a proposé de reprendre un disque « culte » pour une création ; comme le projet a très bien fonctionné, dans le sens ou il réunissait un grand nombre de mes préoccupations esthétiques, on a décidé de l’enregistrer. Stéphane Berland, d’Ayler Records, a tout de suite adhéré à l’idée, étant lui même fan de l’album original, et partageant avec moi pas mal de goûts musicaux.
 
- Pourquoi cet album en particulier ? Représente-t-il quelque chose pour vous ou est-ce son image universelle qui a catalysé l’envie ?

Je n’ai pas beaucoup écouté ce disque étant jeune, et si j’avais voulu reprendre mon disque préféré j’aurais plutôt choisi The Stooges ou Planet Claire par exemple… Mais Never Mind The Bollocks, c’est un tiers de musique, deux tiers de concepts, qu’ils soient politiques ou esthétiques. La musique est très serrée, on pourrait dire que tous les morceaux se ressemblent, ce qui permet d’envisager beaucoup de possibilités d’interprétation. Leur proposition est très forte et résonne beaucoup dans l’inconscient collectif.

Sarah Murcia © Christophe Charpenel

 

J’aime toujours jouer avec Caroline, je suis très fidèle dans la musique

- On retrouve dans ce nouvel album de Caroline des vieux complices comme Frank Vaillant ou Olivier Py, mais aussi des nouveaux venus comme Benoît Delbecq. Avez-vous choisi le groupe en fonction de la musique choisie, ou l’inverse ?

J’aime toujours jouer avec Caroline, je suis très fidèle dans la musique ; nous traversons beaucoup de choses ensemble et nous progressons ensemble. J’avais envie de jouer avec Benoît Delbecq depuis toujours, et je me suis dit que le piano imposerait une façon d’écrire. D’abord parce qu’il faut qu’on l’entende, et cela place d’emblée la musique à un certain niveau d’écoute collective, ce qui me paraissait intéressant vu le sujet. D’autre part j’étais sûre que sa façon d’envisager les choses serait toujours juste et allait faire beaucoup avancer le projet. Pour ce qui est de Mark, nous n’en sommes pas à notre première collaboration, et cette fois nous avons vraiment pu développer le chant à deux. Le fait qu’il danse sur scène rajoute une dimension théâtrale au concert et j’aime bien cette idée.
 
- Avec Caroline, vous avez une grande habitude de visiter des morceaux « pop » pour y laisser votre empreinte. C’est notamment ce qui vous avait amenée à travailler avec Arte autour des années 80, ou d’enregistrer un disque de chanson « carolinienne ». C’est une démarche naturelle ou un exercice de style ?

Je crois que c’est une démarche naturelle, car je commence à avoir revisité énormément de répertoire. C’est un « exercice de style naturel »… Finalement, à chaque fois je crois que ça finit par ressembler à ma musique.

Sarah Murcia © Michel Laborde

- A l’occasion de cette émission sur Arte, vous aviez déjà collaboré avec Mark Tompkins. Vous pouvez nous parler de lui ?

Après avoir fait cette émission sur Arte, Mark est venu chanter « Caroline Says » de Lou Reed sur notre album Caroline, Yes. Puis nous avons monté un duo, Everybody, que malheureusement nous n’avons joué que deux fois. C’est un chanteur incroyable et j’aime beaucoup chanter avec lui. Quand j’ai vu Mark danser en solo pour la première fois, j’ai tout de suite été frappée par le fait qu’il incarne à la fois l’idée de la connaissance et de l’ignorance, comme s’il savait danser et qu’il ne savait pas. Il s’en dégage une grande intensité. C’est une démarche que l’on retrouve dans tous ses spectacles, et c’est pour moi un axe très important de mes réflexions.
 
- Sur la plupart des disques de Caroline, vous chantez avec talent ; ce n’est pas une direction de carrière qui vous aurait séduite ?

Chanteuse, c’est une position que je trouve inconfortable : elle fait appel à d’autres motivations que celle d’instrumentiste. J’aime considérer la voix comme faisant partie des possibilités.

- Question de fan : verra-t-on un jour votre reprise de « 99 Luftballons » sur un disque ?

Hé hé ! Non je ne crois pas ; c’est une photo d’un moment. D’ailleurs avec Paul Ouazan, qui a réalisé cette émission (Nighting Eighties avec l’atelier de recherche d’Arte France), il m’a laissé beaucoup de liberté et on est allés assez loin dans la façon de reprendre des chansons populaires. Nous avons fait sept émissions ensemble, et j’ai eu beaucoup de chance de participer à cette forme de télévision - qui tend à disparaître, d’ailleurs.

Sarah Murcia © Fabrice Journo

 
- Comment procédez vous à la déconstruction de ces monuments de la culture populaire ? Comment des musiciens comme vous abordent « Pretty Vacant » ou « Anarchy in The Uk » ? Différemment que d’autres « standards » ?

Je ne crois pas les aborder différemment que d’autres ; j’essaye de garder à chaque fois ce qui me semble être l’essence du morceau, ou en tous cas un ou plusieurs paramètres éloquents (la mélodie, un gimmick, la forme, etc… ) Il y a toujours quelque chose qui relie fortement la reprise à l’original. Après, j’écris ce qui me vient.
 
- Le choix de la basse électrique s’est-il un jour présenté à vous ?

Oui, j’en ai joué un peu dans les Varans de Komodo, mon premier groupe avec Jérôme Boursault, Gilles Coronado et Franck Vaillant ; puis avec Charlélie Couture, puis à droite à gauche ; j’en joue d’ailleurs dans Never Mind The Future. Mais je ne me sens pas très à l’aise avec l’instrument, je suis toujours obligée de regarder où je mets les doigts, j’en joue comme un contrebassiste, bref ça n’est pas très concluant. Je préfère jouer des synthés basse, étant pianiste à la base.

Sarah Murcia © Franck Bigotte

 
- Les styles musicaux et les étiquettes ont-elles encore un sens aujourd’hui ?

Je ne crois pas, à ceci près que c’est parce qu’il y a des styles que l’on peut jouer avec leurs codes… Mais pour moi jouer ceci ou cela c’est à peu près la même chose. Quand je joue des rondes avec Elysian Fields je ressens la même implication que quand je joue des tas de notes avec le trio de Sylvain Cathala. Ce qui diffère un peu parfois c’est la proportion de danger inhérente à la musique. Et c’est quand même ce qui me motive le plus.

Je suppose que la musique, c’est en quelque sorte de la politique. 

- C’est dans cette démarche transgenre que vous avez entamé une collaboration avec Kamilya Jubran ?

Je ne sais pas si la collaboration avec Kamilya est vraiment une démarche « transgenre », dans le sens où si elle était thaïlandaise j’apprendrais probablement les codes de sa musique de la même façon ; c’est la personne qui m’intéresse et pas du tout sa culture (même si je l’apprécie). Nous écrivons ensemble une musique originale (dans le sens littéral), en s’intéressant au langage lui-même et pas à la superposition de nos cultures.
 
- Revenons à Never Mind The Future… La musique improvisée est-elle punk, au fond ? Puisque même le punk ne l’est plus vraiment…

Le punk n’existe plus, non ? C’est une musique contextuelle, une musique politique. Alors je suppose que la musique, c’est en quelque sorte de la politique. Mais ça vaut autant pour la musique contemporaine que pour Didier Super ou la musique improvisée, c’est une question de propos et d’individus.

Sarah Murcia © Franpi Barriaux

 
- On a l’impression qu’en abordant ce disque mythique comme vous l’avez fait, les francophones au moins prennent plus conscience du caractère politique des paroles du groupe. C’est un choix conscient ?

J’ai remarqué effectivement que quand on décortique ce genre de morceaux pour les ressortir autrement, les textes prennent un relief particulier. Ils sont excellents d’ailleurs, et c’est une manière de de s’y replonger avec un autre regard. Il y en a plein que j’ai compris à cette occasion.
 
- Pourquoi avoir modifié l’ordre des morceaux ?

Sur scène nous gardons l’ordre du disque à un morceau près et ça fonctionne très bien. J’ai essayé de le refaire pour le disque mais ça ne marchait pas, surtout le début ; donc j’ai décidé de ne pas m’y attacher et de trouver un autre équilibre.
 
- Dernière question : Never Mind The Future ? Really ?

Maiiis non !