Chronique

Caroline

Garden Parti & Caroline, Yes

S. Murcia (cb, kb, voc), O. Py (ts, ss, fl), G. Coronado (g), F. Vaillant (dms, Simmons SDSV), O. Bleedow (g), J. Balibar, J. Lanoë, M. Chan, L. Carlier, Las Ondas Marteles, R. Burger, Fantazio, J. Higelin, Katerine, B. Scott, F. Monnet, M. Tompkins & F. Poulet (voc)

Label / Distribution : Zig-Zag Territoires

Le nouvel album de Sarah Murcia et de ses comparses du groupe Caroline est double. En mettant de la pop dans leur jazz sur le premier disque et du jazz dans leur pop sur le second, ils proposent une vision bicéphale de leur musique, comme pour clamer que l’esthétique tient plus à l’esprit de jeu qu’aux outils employés. Tantôt ce sont les notes qui sont à l’honneur, tantôt les mots. Tantôt les thèmes, tantôt le chant. Qu’importe, l’ensemble ne souffre ni d’une carence de fond, ni d’un excès de forme. On notera d’ailleurs qu’un titre instrumental (signé Mingus) s’est glissé au milieu des chansons, et que Sarah Murcia donne de la voix sur le très beau « Horses » au milieu du disque instrumental, comme pour lier Garden Parti et Caroline, Yes. La production, signée Philippe Teissier du Cros, assure elle aussi la cohérence de de ce joli kaléidoscope dont, loin d’être un prétexte, la diversité constitue la richesse même. On y entend des composantes acoustiques (belles lignes de contrebasse, murmures de saxophones, caresses des balais), électriques (guitares rugissantes, claviers colorés) et électroniques, Franck Vaillant tirant de sa batterie numérique des sons « décalés » qui contrastent avec un environnement très organique. De la même manière, parties improvisées et formalisées trouvent un bon équilibre, la profondeur et la spontanéité du jazz se mêlant à une lisibilité et une efficacité héritées du rock. Ainsi, les multiples overdubs de guitare densifient les morceaux et leur donnent du corps tandis que les thèmes, chants et solos se succèdent, poussés par une rythmique efficace.

Les interventions individuelles sont remarquables : belles intros de contrebasse (« Hier soir, un DJ m’a sauvé la vie », « L’indocile » ou « O, Caroline »), chorus inspirés d’Olivier Py, dont l’économie de moyens ferait presque oublier la vélocité (même s’il se permet de beaux jaillissements, notamment au soprano sur « Comme tout le monde »), éclairs saturés et nappes d’accords veloutés de Gilles Coronado, poétique solo de batterie sur « I Did Acid With Caroline ».

Les thèmes de Garden Parti, peu nombreux, sont longuement développés, et le groupe s’attache à leur donner un climat unique, délaissant parfois la création spontanée et l’interplay au profit de la mise en place de mémorables parties minimalistes. Citons le drumming lancinant de Vaillant et la guitare lunaire de Coronado sur l’enivrant « Hier soir … ». Quand le curseur se déplace du jazz vers la pop, la musique se fait plus douce, plus positive ; l’énergie directe est alors palpable. Sur Caroline, yes, qui privilégie les formats courts, elle s’inscrit dans la continuité du premier disque mais flirte d’un peu plus près avec des styles musicaux qui, n’étant pas parallèles, peuvent se rencontrer. Rock, blues, folk, électro, trip hop, country déjantée, musique de cabaret revisitée etc - toutes ont droit de cité.

Les vocalistes invités sur ces reprises de chansons plus ou moins connues (dont l’héroïne est invariablement une certaine Caroline), bénéficient tour à tour d’accompagnements intimistes, décalés, dynamiques ou vaporeux, et leur personnalité marquée est bien mise en valeur. Retrouvailles plutôt que rencontres, ces collaborations aboutissent à quelques beaux moments : le duo complice Jacques Higelin /Sarah Murcia (« I Did Acid… ») l’innocence enfantine de Katerine, le ton caressant de Jeanne Balibar ou apaisant de Rodolphe Burger et Mark Tompkins, les harmonies vocales de Las Ondas Marteles (un enchantement), l’étonnante nonchalance de Fred Poulet, l’humour revigorant de Mami Chan et l’énergie communicative de Fantazio, entre autres, achèvent de relever un plat qui ne manque ni d’épices, ni de saveur.