Chronique

Stéphane Galland

(The Mystery of) Kem

Stéphane Galland (dms), Sylvain Debaisieux (ts), Bram de Looze (p), Federico Socchi (b) + guests : Ravi Kulur (fl), Ibrahim Maalouf (tp)

Label / Distribution : Out There / Out Note

« Ce projet part de moi vers l’extérieur, presque l’opposé de LOBI où je suis parti de l’extérieur pour ramener des gens vers moi. » [1]. Il faudrait parfois confier les chroniques de disques aux musiciens eux-mêmes, pourvu qu’il aient, comme Stéphane Galland, l’humilité et la lucidité nécessaires. Alors qu’on célèbre le quart de siècle d’Aka Moon, le batteur redistribue ses cartes avec (The Mistery of) Kem, un quartet à sa main constitué de jeunes pousses de la scène belge. La donne a beau être résolument différente, les atouts restent les mêmes, à l’image de « Soils » au centre de l’album ; une dynamique de groupe autour de la batterie. La flûte de Ravi Kulur, invité quasi permanent de ces aventures mystiques, défie des rythmiques complexes et imposantes échauffées par la basse de Federico Stocchi, et cette débauche d’énergie engendre une mécanique qui s’alimente à mesure qu’elle se brise. Bienvenue dans l’univers de Stéphane Galland, voici le gimmick qui s’insinue partout : après de nombreux voyages tout azimut, le maître rythmicien nous offre un périple intérieur.

Si les musiciens autour de lui ne sont pas les stars internationales de Lobi, il serait faux de penser qu’il s’agit d’inconnus. Bram de Looze, intense pianiste qui brille sur « Morphogenis » en faisant face à l’attaque conjointe de Galland et du ténor de Sylvain Debaisieux, est fameux pour son LABTrio. Quant au saxophoniste, nous l’avions déjà remarqué dans l’orchestre de la pianiste Eve Beuvens. Il a ici un rôle de boutefeu que Ibrahim Maalouf exacerbe sur « Memetics », que l’orchestre a manifestement conçu comme une carte de visite. A tout instant, c’est Galland qui s’impose comme le ciment de The Mystery of Kem. Ses compagnons, eux, mènent des échauffourées, font trembler les fondations (« Black Sand ») mais renforcent l’omniprésence du rythme, et même son obsession.

Kem, ce n’est pas seulement un pays de cocagne où les décomptes impairs sont rois. C’est un mythe, la terre noire de l’Égypte, la racine de Kemet, l’un des noms antiques du pays. C’est surtout un pont entre l’Afrique et le Moyen-Orient qui dit tout de la musique intime de Stéphane Galland, qu’il apparaisse sous son nom propre, avec Aka Moon, ou avec ce nouvel orchestre (« Maëlstrom »). Il ne s’agit pas d’un éternel recommencement de la musique cosmopolite qu’il défend avec brio depuis de nombreuses années. C’est une entité nouvelle, comme une principauté où bouillonnent d’inédits alliages. Une prémisse excitante.