Chronique

Tony Hymas & The Bates Brothers

Blue Door

Tony Hymas (p), Chris Bates (b), JT Bates (dms)

Label / Distribution : Nato

Les collaborations du pianiste Tony Hymas avecnato sont comme la colonne vertébrale d’une longue histoire commune. De son ardente participation aux albums collectifs qui ont forgé l’identité du label jusqu’à ses incursions dans les faubourg de Minneapolis pour explorer les sons urbains du hip-hop et du funk, l’Anglais est toujours là, fidèle et singulier. Glouton de musique, l’ancien comparse de Jeff Beck sait être aussi à l’aise avec Satie et Debussy que dans le rock le plus cru, sans pour autant se ranger dans la catégorie des touche-à tout sans âme ; épouseur à toutes mains, Hymas a fait de la passion son seul carburant, qu’il s’agisse des chefs de guerre amérindiens (le magnifique Oyaté) ou des portraits de Gustave Courbet.

La formule en trio avec un tel pianiste semble être l’architecture idéale. Pourtant, exception faite de son célèbre A Winter’s Tale avec Thollot et Jenny-Clark, elle est anecdotique dans sa discographie et s’est surtout construite au gré des rencontres. On se réjouit d’autant plus de le retrouver dans ce Blue Door en compagnie des Bates, auguste fratrie rythmique qui pose la base d’un triangle isocèle. Moins connu en France que son frère, Chris Bates fait des miracles - comme déjà aux côtés de Lee Konitz - par son jeu sec et parcimonieux. Quant à JT Bates, il est depuis plus de huit ans un compagnon de route de nato, dont il a fêté le trentième anniversaire en l’avantageuse compagnie de Lol Coxhill et Barre Philips. Pour cet autre fervent artisan de l’éclectisme, la rencontre avec Tony Hymas dans le Birdwatcher de Portal sonnait comme une évidence, poursuivie en trio avec Bruno Chevillon.

Toutes ces affinités électives fondent donc la grande unité d’un trio inédit.
Blue Door, c’est cette petite porte oubliée au fond de la mémoire. Elle s’ouvre un beau jour sur le jardin secret de l’inconscient musical. On connaissait, notamment grâce à Ursus Minor, le goût de Hymas pour le groove fiévreux, mais on ne l’attendait pas sur le registre du blues. Il règne dans cet album comme une ambiance de journal intime ; en pigmentant de ce bleu chaleureux les pièces qui ont émaillé sa carrière, il nous emmène au cœur de sa musique. De la gravité de « Ahnem », enregistré avec Sam Rivers, à la légèreté de façade de « La Chanson du bonhomme », c’est un portrait en creux qui se dessine, impeccablement colorié par les frères Bates. Mais ce sont dans les évocations de Red Garland, Phineas Newborn et Erroll Garner, écrits pour l’occasion, que le trio trouve le mieux son unité. On soulignera dans « The Kid From Whiteville », en hommage à Newborn, la puissance de la paire Bates, qui donne la plus grande des libertés au toucher du pianiste.

Mais c’est, comme souvent, au pivot de l’album que se cache la plus belle perle. Sur le blues pur malt de « The Way Back Home », on découvre la voix caverneuse de Tony Hymas, qui fait immanquablement penser à Lou Reed. Hymas a soudain la classe débraillée de ces musiciens rock qui, revenus aux sources, se laissent guider par leur seul instinct. C’est plus qu’une impression fugace. Loin de tout académisme, le pianiste a construit une carrière dont l’intransigeance et la cohérence vaut toutes les postures de la Pop Culture. A l’écoute de Blue Door, on a la joyeuse certitude qu’il y a, dans ce luxuriant terrain, encore beaucoup de portes à dénicher.