Scènes

Vas-y Moholo ! au Petit Faucheux

Compte rendu des concerts de Papanosh et Louis Moholo-Moholo For Blocks au Petit Faucheux


Photo : Michael Parque

Belle soirée au club le Petit Faucheux avec trois rendez-vous qui, pris séparément, auraient suffi à nous combler. D’abord, le vernissage d’une exposition de notre camarade citoyen Michaël Parque suivi d’un double plateau aussi touchant l’un que l’autre, quoique pour des raisons différentes, avec les Rouennais Papanosh puis le Sud-Africain Louis Moholo-Moholo.

La programmation du Petit Faucheux est toujours judicieuse. Savant équilibre entre des propositions qui plairont à tous et des rendez-vous plus exigeants, elle sait séduire un public éduqué depuis de nombreuses années qui, jamais pris pour un idiot, suit, apprécie et s’enthousiasme. Saluons cette salle et une équipe disponible qui a le goût du travail bien fait.

Michael Parque - dont vous découvrez les propositions photographiques dans les colonnes de ce magazine (également sur son site) - donne à voir l’exposition Figures Improvisées. On retrouve l’élégance de ses images, ici intégralement en noir et blanc, qui présentent le vivant d’une scène vivante. Les prises de vue des musiciens français ou internationaux dans des attitudes toujours investies honorent la noblesse de leur art et le sens du cadrage, le jeu sur les profondeurs mettent en avant la beauté des visages. Le soin porté au rendu des traits et à la dynamique des contrastes évoque, d’ailleurs, comme le disait un spectateur dans la foule du vernissage, les procédés de la gravure. Visitez-la jusqu’au 30 novembre.

Roy Nathanson, photo Michael Parque

Venus de Rouen, avec quelque cinq disques à leur compteur, Papanosh est depuis une dizaine d’années maintenant une formation soudée. Prolongeant les racines de la culture afro-américaine, ils sont venus défendre Home Songs et cette maison est une auberge accueillante. Roy Nathanson, saxophoniste new-yorkais, ancien membre des Lounge Lizards, fait désormais partie de la famille ; Napoleon Maddox, du groupe de hip-hop alternatif-progressif-transgressif IsWhat ?!!, est la conscience noire du projet.

Les questions traversent le concert : Home, la maison, les maisons. Être chez soi ? Ne plus y être ? Home et les hommes qui l’habitent. La musique n’est pourtant pas du genre protest songs. Plutôt un medium, un moyen qui donne entendre et à entrevoir une forme de réalité. Sur des compositions charnues, les soufflants donnent à plein poumons à partir de thèmes toujours consonants et jamais évidents.

On va du free jazz roboratif à des ballades tendres et surtout on palabre, on discute. Maddox avec beaucoup d’humour et une verve en rap style, Nathanson en spoken word avec cet accent américain savoureux. Sébastien Pallis (redoutable de groove sur son orgue Hammond) fait entendre sur un vieux magnétophone à bande les témoignages de femmes exilées en France et qui racontent leur chez-soi. Jouant entre les mots sur le piano, il les enrobe et fait monter une émotion qui irrigue un concert honnête et fragile. Messieurs, nous voilà chez nous chez vous.

Jason Yarde et John Edwards, photo Michael Parque

Du haut de ses soixante-dix-huit printemps Louis Moholo-Moholo est un des personnages les plus touchants vus sur les scènes qui défendent ces musiques. Batteur, Sud-Africain, ancien compagnon de route de Chris McGregor, partenaire de Cecil Taylor, Irène Schweizer et héraut de la free music, il met son quartet au service d’une musique œcuménique qui privilégie l’intensité du moment plutôt que la perfection de la forme. A la tête d’un quartet britannique, judicieusement nommé For Block, il frappe en permanence la caisse claire comme un enfant découvrant l’instrument. Tant d’ailleurs pour produire une tension électrique et entêtante que pour se tenir à l’affût et disponible pour la tempête qui ne manquera pas d’arriver.

Et ses partenaires chantent dans cette tempête. Poussant la chanson avec un enthousiasme communicatif digne de supporters d’un match de foot, ils entonnent des airs pleins qui trouvent leur force également dans l’imperfection touchante de leur voix. S’appuyant dessus, ils maintiennent un jeu permanent qui gonfle et s’amenuise au gré des intentions de leur leader. John Edwards qui, en Anglais authentique, boit de la bière tout du long pour se réhydrater, enfonce de profonds clous tandis que les aplats larges et généreux d’Alexander Hawkins s’échappent parfois en phrasés rapides. Ils permettent surtout au saxophoniste Jason Yarde de poser son instrument avec force. Gros grain, phrases puissantes pleines de soul music quoique contemporaines, il est l’aboutissement de ce quartet qu’il déchaîne en même temps qu’il canalise ; au point médian d’une musique à la fois formidablement terrienne et euphoriquement aérienne.