Chronique

A Pride of Lions

No Questions No Answers

Joe McPhee (as, ss, tp) Daunik Lazro (ts, bs) Joshua Abrams (b, guembri) Guillaume Séguron (b) Chad Taylor (dms, mbira )

Label / Distribution : Rogue Art

A Pride of Lions, ou l’art de retrouver de vieux camarades. Inutile de revenir sur tout ce qui avait été dit ici sur le premier disque d’un des quintets les plus intéressants issus des rencontres de The Bridge : l’alliance entre Daunik Lazro et Joe McPhee n’est pas nouvelle, et les musiciens qui les ont rejoints animent déjà depuis longtemps les musiques improvisées et créatives de chaque côté de l’Atlantique. Simplement, comme lors du précédent album, c’est la forme, et l’interaction particulière entre Guillaume Séguron et Joshua Abrams qui impressionne, et ce dès « An Unanswered question », alors même que le ténor de Lazro n’est pas entré en jeu et que seule la batterie de Chad Taylor sculpte la masse de silence avec des manières d’archéologue, entre levées de tambours et fines caresses de cymbales. Séguron est à l’archet, travail de fond qu’il affectionne, Abrams joue des pizzicati. C’est la mise en route d’une machine sans accroc et auto-alimentée qui va tout renverser sur son passage.

La grâce féline, la puissance : on retrouve tout les attributs des lions qu’on avait laissés en 2018. L’album a été enregistré quelques semaines après la parution du premier disque, au festival autrichien de Saalfelden. Mais il s’est passé deux ans entre les deux captations : l’urgence est moindre, et la complicité de la base rythmique est devenue totale. Toujours sur « An Unanswered Question », on a le sentiment que les deux soufflants interviennent lorsque la triplette est arrivée à son point de fusion, comme pour ajouter du combustible ; il y a pourtant une césure, lorsqu’Abrams au guembri puis, plus tard, Taylor au mbiri vont sonder les racines africaines de leur musique pour capter une nouvelle sève. Le baryton de Lazro se joint à eux puis s’échappe, préférant s’harmoniser avec l’archet de Séguron, prompt à nous émouvoir au plus profond, loin sous la carapace. C’est sans doute ce qui renverse la table dans « An Unquestioned Answer », ou Lazro et McPhee se retrouvent davantage au centre, libérant à l’occasion le génie aylerien et s’appuyant sur une batterie qui feule et jamais ne ronronne.

A Pride of Lions est un orchestre qui perdure, entre musiciens qui savent concilier un mouvement vers l’avant sans limite et un vrai goût pour la mémoire. Sans doute parce qu’on y trouve une source d’énergie et de jubilation nécessaire et finalement assez rare à telle intensité, mais aussi, c’est à ne pas négliger, parce qu’elle se nourrit d’une vieille histoire entre Joe McPhee et Lazro. L’Américain est l’agent imprévisible de cet orchestre ; comme toujours, il y a entre eux une vraie connexion, née entre autres dans un orchestre qui ressemble beaucoup à celui-ci. Dourou, paru en 1997, réunissait également deux contrebasses (Didier Levallet et Paul Rogers) avec le batteur Christian Rollet. McPhee et Lazro y jouaient intensément, et le plus court « Enough », sur ce No Questions No Answers paru chez RogueArt, y fait penser fugacement, davantage sans doute que les précédentes joutes de ce très bel orchestre. Un disque indispensable, à bien des égards.