Chronique

Alexandre Herer

Nunataq 2

Alexandre Herer (Rhodes, synth), Gaël Petrina (elb), Pierre Mangeard (dms) + Magic Malik (fl), Julien Pontvianne (ts), Denis Guivarc’h (as), B.C. Manjunath (mridangam).

Label / Distribution : Onze heures onze

Les fondements de ce deuxième rendez-vous donné par Alexandre Herer sous le vocable Nunataq – qui rappelons-le, tire son nom du groenlandais et signifie un monticule entièrement recouvert de glace – sont exactement les mêmes que ceux du premier volume paru en 2020. L’idée affirmée par le pianiste étant d’offrir une musique itinérante, presque visuelle, inspirée par les grandes étendues de glace du Groenland, avec pour couleurs centrales celles de son Fender Rhodes, qui prend ici plus que jamais un malin plaisir à jouer les caméléons.

Il y a donc continuité, c’est évident. Pourtant, cette « froideur » revendiquée semble moins réfrigérante qu’à l’écoute du premier chapitre de ce qu’on peut considérer comme une visite guidée. Bien au contraire, il se dégage de Nunataq 2 une énergie propre à vous réchauffer promptement, et qui renvoie tout autant du côté d’un jazz-rock nerveux (« Arktos », « Ice Shelf ») que d’un pas si lointain cousin krautrock parfois planant et indocile (« Fram », « Tundra »). Les variations d’angle sont nombreuses, les climats changent de façon quasi permanente, entre évanescence, brumes et courses folles.

Le travail de coloriste fourni par Alexandre Herer est remarquable et fait de lui l’un des plus passionnants spécialistes de cet instrument versatile (la présence tutélaire du grand Jozef Dumoulin n’échappera à personne). La rythmique soumise aux pulsions charnelles de Gaël Petrina (basse) et Pierre Mangeard (batterie) est partie prenante de cette diversité des approches. Et pour que le menu soit plus copieux, les vieux amis se font un malin plaisir de monter à bord de l’embarcation, histoire d’agrémenter le voyage et de magnifier des paysages qui ne manquent pourtant pas d’arguments séduisants, quitte à solliciter un choral et une sarabande de Bach (assez méconnaissables, il faut bien le dire) : ce sont ici Magic Malik (flûte), là Denis Guivarc’h (saxophone alto), là encore Julien Pontvianne (saxophone ténor). Plus étonnante est l’irruption en fin de course de quelques brefs échos venus de l’Inde lointaine, par la présence de B.C. Manjunath et son instrument à percussion, le mridangam. Sacré périple ! Ce disque exploratoire, de courte durée (à peine 35 minutes), est de ceux qu’on n’hésite pas à solliciter autant de fois que nécessaire. Sa « nervosité contemplative » - qu’on nous pardonne cet oxymore – est un appel auquel il est assez difficile de résister. Et qu’on ne vienne pas nous dire que le jazz est mort : il parcourt le monde, tout simplement…