Chronique

Anthony Braxton & Jacqueline Kerrod

Duo (Bologna) 2019

Anthony Braxton (as, ss), Jacqueline Kerrod (harp)

Label / Distribution : Dischi di Angelica

Peu connue des milieux du jazz, la harpiste Jacqueline Kerrod, originaire d’Afrique du Sud et installée à New-York depuis 20 ans, a accompli une grande partie de sa carrière dans la musique contemporaine, au sein des prestigieux Metropolis Ensemble’s Chamber Orchestra et autre American Modern Ensemble. Voici pour la photo mais il y a, comme toujours, plusieurs dimensions : elle anime un duo plutôt pop (Addi & Jacq) et n’aime rien tant que d’électrifier ses cordes, rendant son jeu moins élégiaque. Par ailleurs, depuis des années, elle côtoie Anthony Braxton dans l’orchestre de sa série opératique Trillium ; presque naturellement, ajoutera-t-on au regard du parcours syncrétique de la musicienne. Grande virtuose de son instrument, on n’est guère surpris de la retrouver en duo avec le multianchiste, dans une lecture de la « Composition 189 », inédite des années 90 et œuvre assez courte que Kerrod comme Braxton agrémentent de discussions secondaires, de digressions qui jouent de tous les degrés de la tension.
 
Ce qui marque d’abord dans ce pas de deux, c’est le calme et la douceur : Braxton est à l’alto, il laisse traîner ses notes, il suit une ligne assez claire, nullement brisée. Autour de lui, la harpe passe des basses soudaines à quelques enluminures colorées mais jamais empesées. On pourrait croire qu’il s’agit d’un round d’observation, d’une découverte commune, mais il est acquis que les musiciens se connaissent et se pratiquent depuis longtemps. Lorsque l’alto accélère sans brusquerie au milieu de « Primary », mouvement originel, la harpe se cale immédiatement dans ses pas, s’amuse même à prendre les rênes de la rencontre en quelques coups rapides comme un claquement de langue.
 
Il y a de la concorde entre les musiciens et, même lorsque dans « Secondary 1 » l’échange se densifie et à bien des égards se complexifie, il n’y a pas de confrontation. Le morceau est long, près d’une demi-heure, mais il voyage tout azimut. Le saxophone de Braxton accélère, amplifie la plénitude du son mais ne cherche pas à renverser la table. De même lorsque c’est la harpe qui domine, Braxton s’en tenant à un souffle rauque. Même lorsque Kerrod utilise des techniques étendues, le propos reste contenu à une douceur qu’on retrouvait déjà dans le duo avec Miya Masaoka. Le koto et la harpe ne sont pas si éloignés ; c’est un instrument auquel Braxton a de plus en plus recours, notamment dans son langage Zim. La fonction du duo reste chez lui toujours la même : se mesurer et poser des jalons. Gardons alors en tête ce Duo (Bologna) 2018, conscient qu’il apporte son lot de réponses et de clés dans les développements à venir dans la syntaxe braxtonienne.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 septembre 2020
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