Chronique

Barre Phillips & Emilie Lesbros

No Man’s Zone, musique pour le film de Toshi Fujiwara

Barre Phillips (cb), Emilie Lesbros (voix)

Label / Distribution : Nato

Composée pour le documentaire No Man’s Zone réalisé par Toshi Fujiwara, la musique captée pour ce disque mérite d’être écoutée pour elle seule, même si à aucun moment elle n’élude la gravité du sujet abordé. A la suite de la catastrophe de Fukushima, Fujiwara a, en effet, pénétré dans la zone d’exclusion pour se rendre sur les lieux dévastés par la catastrophe. Filmant les ruines et quelques habitants restés sur place, il montre toute l’étendue de la tragédie à travers notamment la place importante tenue par le silence.

C’est à ce dernier que le contrebassiste Barre Phillips fait écho. Accompagné de son seul instrument et complété par la voix d’Emilie Lesbros, il compose une partition ascétique dont la dignité et l’humanité apportent un contrepoint salvateur à la douleur visuelle. Sans étalage exagéré de technique, Phillips joue en retrait, privilégiant une pulsation souple et sourde, saisi par un enregistrement qui rend compte des subtilités et de la richesse de grain de sa contrebasse. Soutenu par le chant droit de Lesbros qui offre une colonne d’air pur et solide à son partenaire, le duo s’emploie à orner d’une petite quinzaine de pastilles sonores les images de ce film. A l’écoute, c’est une succession de prières profanes qu’il nous est donné d’entendre. Invoquant une certaine rigueur propre à la culture nippone, elles abordent des sentiments divers, principalement centrés sur la pesanteur du sujet.

Ainsi les tourments et la tristesse sont perceptibles, mais traités avec une dignité et une douceur dans le pathos qui permet une distanciation salvatrice tout en invitant à une forme d’empathie. Sans jamais entrer dans des tensions dérangeantes ou démonstratives, lorsqu’il se saisit de l’archet, Barre Phillips évoque inévitablement le baroque occidental, complément évident à la tradition asiatique dans cette sublimation du chant intérieur, véritable rempart à la sauvagerie du monde et à l’horreur humaine.