Chronique

Belmondo Quintet

Brotherhood

Lionel Belmondo (ts, ss, fl), Stéphane Belmondo (tp, bugle), Éric Legnini (p), Sylvain Romano (b), Tony Rabeson (dms).

Label / Distribution : B Flat Recordings

Le Belmondo Quintet n’abuse pas des enregistrements depuis un quart de siècle. Avec à leur actif une poignée de références seulement [1], les frangins Lionel et Stéphane ont, malgré cette parcimonie, imprimé leur marque, identifiable par une alliance naturelle de swing et de spiritualité, dans le paysage du jazz européen. Ils ont par ailleurs mis leur ferveur au service d’un travail de « passeurs » entre la musique française du début du XXe siècle, liturgique notamment, et leurs passions bop. Quiconque n’a pas été sensible à leur Hymne au Soleil (2003) lève le doigt et nous explique la raison d’une telle indifférence ! De même, on doit à la paire fraternelle de belles et profondes vibrations, à l’écoute par exemple de leur collaboration avec Milton Nascimento ou leurs Influences dédiées à Yusef Lateef. Leur parcours est harmonieux, en équilibre sur des sources d’inspiration multiples et toujours profondément ancrées dans une introspection de l’âme.

Aussi, quand vient Brotherhood le bien nommé [2], plus de 10 ans après une dernière trace live laissée par le quintet, on en salive d’avance. On se réjouit également de la résurgence du label B Flat, dont le catalogue va faire l’objet d’un mastering soigné en vue d’une diffusion numérique et, peut-être, de quelques vinyles. On peut alors se consoler un peu en pensant que Covid 19, confinement et couvre-feu auront au moins présenté cet avantage de favoriser une prise de distance et l’émergence de quelques initiatives heureuses. Et pour ce qui est des forces en présence sur ce nouveau disque, on note une évolution dans l’équipe composée toutefois de fidèles : Éric Legnini (déjà présent sur Belmondo & Nascimento) est au piano, Sylvain Romano à la contrebasse et Tony Rabeson à la batterie. Du solide, des compagnons aguerris, on sait que la musique est entre de très bonnes mains, autant de garanties dont quelques rares concerts en 2019 (comme ce fut le cas à Nancy Jazz Pulsations) avaient permis de mesurer l’étendue.

Les frères Belmondo n’ont pas manqué ce nouveau rendez-vous en quintet : Brotherhood, comme une évidence – mais quoi de plus difficile que de paraître évident ? – vous attrape par la manche pour ne plus vous lâcher. Tout ceci s’écoute dans un seul souffle, mais aussi dans un grand sourire. On ne pouvait imaginer plus belles retrouvailles : entre groove profond, porté par un hard bop héritier de Coltrane autant que du Wayne Shorter des années 60 (« Wayne’s Words », « Prétexte », « Woody ’n Us »), et compositions méditatives aux couleurs impressionnistes (« Doxologie », « Sirius », « Yusef’s Tree »), ce quintet d’une grande cohésion fait une fois encore la démonstration de sa dualité heureuse. Il y a dans cette musique une forte dose de spiritualité et de lyrisme, on le savait et on peut le vérifier ici. Un état d’esprit qui n’a pas empêché Lionel Belmondo, tout à sa quête harmonique, de s’amuser – ce n’est pas là un reproche, bien au contraire – à échafauder des thèmes en établissant des correspondances entre les notes et les lettres composant les noms de quelques musiciens fétiches. Un vieux principe qui remonte à Bach et que Maurice Ravel lui-même avait appliqué à sa « Berceuse pour Gabriel Fauré ». Cette fois, Wayne Shorter, Yusef Lateef, Woody Shaw et Bill Evans sont à l’honneur, telles des figures héroïques. On est également sensible à la conclusion de l’album : « Song For Dad », signé Stéphane Belmondo, est une magnifique ballade hommage à Yvan Belmondo, le père brutalement disparu à la fin de l’année 2019 à l’âge de 85 ans, lui qui fut l’initiateur – un autre héros, donc – de cette aventure musicale et humaine dont ce nouveau rebondissement est à la hauteur de toutes les espérances.

Il faudrait dire aussi que le jeu de Lionel et Stéphane Belmondo est brûlant comme jamais et que leurs partenaires font un sans-faute. Mais est-ce bien nécessaire ? Avant tout, Brotherhood est un présent à écouter sans modération !

par Denis Desassis // Publié le 21 mars 2021
P.-S. :

[1Petit rappel discographique : For All Friends ‎(1994), Infinity (1999), Belmondo Quintet (2001), Infinity Live ‎(2009).

[2Ce mot signifie « fraternité » en anglais.