Chronique

Big 4

Nos sons unis

Julien Soro (as, ts), Stephan Caracci (vb), Fabien Debellefontaine (tba), Rafaël Koerner (d)

Label / Distribution : Autoproduction

En 2008 à propos de l’album d’un jeune groupe, Inama, nous vous disions que ces six jeunes gens, non contents de promettre, tenaient. Ils tiennent, en effet.

Trois d’entre eux forment ce Big Four, en compagnie du batteur Rafael Koerner, que l’on a pu entendre avec le Cartel Carnage et qui officie également, comme le leader-saxophoniste et le tubiste, au sein de Ping Machine [1].

Cela étant, Big Four est tout sauf un modèle réduit de Ping Machine. La faute à Julien Soro, pierre angulaire du quartet dont il compose tous les titres, et auquel il imprime un caractère très personnel.

L’instrumentation, d’abord, enfreint délibérément les codes du jazz traditionnel : ni contrebasse ni piano ; les basses - et même, comme dans « Dernière seconde avant la première », les infrabasses - sont tenues par un tuba aux mains de Fabien Debellefontaine, et l’unique instrument harmonique de l’ensemble est le vibraphone de Stéphan Caracci.

Les compositions, elles, sont un curieux mélange de thèmes entêtants, de mélodies parfois très courtes qui vous trottent dans la tête, de rythmiques recherchées (de l’impair et même de l’incomplet en veux-tu en voilà), de séquences qui s’enchaînent comme les scènes d’un film ou qui s’intercalent, se décalent, s’en vont et reviennent, laissant penser à une construction modulaire. Les climats sont variés, de la légèreté taquine du début de « Nos sons unis » au recueillement poétique qui suit, de la furie drôle de « Dernière seconde avant la première » ou de « S.V.P. » à la nostalgie orientale qui introduit « La septième parole »…

Ces compositions élaborées, Big Four les joue avec une intensité qui ne laisse place ni au dilettantisme, ni à la prise de tête. Sax ténor dense et râpeux, alto incisif et insistant, le jeu de Julien Soro dit la nécessité de faire et de donner cette musique plutôt qu’aucune autre. Son travail d’orchestration méticuleux enchevêtre les contrepoints, les riffs, les crescendos et decrescendos, tuile les instruments, ménage des espaces improvisés pour pousser plus loin encore.

Les qualités de vibraphoniste de Caracci, déjà remarquées au sein de Rétroviseur et de Ping Machine, pour ne citer qu’eux, se confirment ici. Artisan, avec le tuba, du son de groupe, il sait comme peu d’autres circuler dans la partition, dessiner un fond harmonique, jeter un éclair de lumière, doubler une ligne de sax, passer au premier plan, faire chanter une mélodie, repasser derrière et faire vibrer l’ensemble.

La batterie tient tous les rôles : faiseuse de groove, d’interjections, monteuse de blancs en neige, poseuse de climats, raconteuse de mélodies. Saxophones comme tuba sont exploités dans toute leur tessiture, et ce dernier rompt définitivement avec son image lourdaude en distillant doubles croches (« Boule de neige ») et pianissimi (« Nos sons unis ») avec une délicatesse d’éléphanteau volubile - sans pour autant renier la veine comique de l’instrument, rassurez-vous et écoutez par exemple le début d’« Automne à trois temps ».

Vous l’aurez compris, non seulement ce groupe a un son à lui, non seulement son leader, dont la voix au saxophone est très personnelle, se révèle comme un compositeur notable, mais en plus on ne s’ennuie pas une minute. Et même si l’on s’interroge sur la nécessité de l’alternate take de « Boule de neige » en fin d’album, ce retour de boomerang ne nuit pas à l’écoute.