Chronique

Ping Machine

Des trucs pareils

Label / Distribution : Neuklang / Harmonia Mundi

Il est des disques qui s’imposent. On sait tout de suite qu’on vient de découvrir une pépite qui va nous tenir compagnie un bon bout de temps. Ils affirment leur personnalité, et on ne saurait dire si leur qualité première est d’exprimer un esprit collectif puissant ou de transmuer l’amalgame d’individualités en ensemble soudé. Ils traduisent, avec toute l’élégance de leur énergie créative, le travail d’un tout inventif, constamment sur la brèche, qui déploie des couleurs en perpétuel renouvellement au fil d’une exploration passionnante. Une aventure bariolée, qui ne laisse jamais l’auditeur au bord de la route.

Cette fois, c’est le troisième disque de Ping Machine [1], intitulé Des trucs pareils et tout de rouge vêtu [2], grâce à un propos riche de convergences. On sent en effet dans ce groupe – car c’en est un, j’insiste – le désir de ne pas se laisser enfermer dans le confort un peu nostalgique d’un classicisme jazz vers où sa dimension pourrait le guider. Ici, on n’est pas un big band pour le principe, ni même pour regarder trop fixement dans le rétroviseur de l’histoire récente, mais pour souffler un air frais, celui des nouveaux espaces à défricher. A une époque où nos sociétés rejettent le concept même, Ping Machine veut redonner vie au mot « ensemble » en conciliant d’une part le raffinement, les arrangements complexes hérités autant jazz que de la musique classique (celle du début du XXe) ou contemporaine (par des motifs parfois sériels), et d’autre part une grande lisibilité mélodique.

Car pour très élaborée qu’elle soit, la musique de Ping Machine n’est ni didactique ni laborieuse ; sa densité et son énergie - peut-être issues d’influences plus rock - sont des atouts majeurs, des armes de séduction auxquelles on se rend volontiers. L’air frais de son écriture précise et audacieuse charrie un parfum qui n’est jamais capiteux. Au contraire, on respire à pleins poumons l’oxygène de ses inventions répétées - pour filer la métaphore olfactive. De plus, sa force est de concilier avec aisance - preuve de maturité - des textures d’ensemble, des masses sonores à la fois profondes et peaufinées, et les échappées de ses solistes, jamais en mal d’inspiration quand ils partent sur les sentiers de l’improvisation. On pourrait les citer un par un car ils sont les créa(c)teurs d’une harmonie qui naît devant nous. Le répertoire leur laisse le temps de s’exprimer sans qu’ils perdent un instant de vue leur appartenance au groupe.

En capitaine épanoui, le guitariste Frédéric Maurin – auteur des compositions et des arrangements – réussit donc un beau pari. Entouré d’une bande d’experts – moyenne d’âge 30 ans – qui sont à la fois rompus au travail de groupe et de redoutables solistes, il est aux commandes d’une belle embarcation où la difficile exigence de l’écriture ne nuit jamais à la spontanéité. Au point de susciter une douce forme de dépendance... Dès que le disque s’arrête, on revient très vite au début ! Chaque fois nous attendent une nouvelle découverte, une nuance qui nous avait échappé, ou l’accompagnement d’un chorus en liberté sur un chemin de traverse. Comme une vaste fresque poétique, contrastée et chatoyante, qu’on observerait de loin avant de venir en scruter certains détails avec attention.

Des trucs pareils est un disque qui nous veut du bien. Et c’est réciproque !

Personnel :

Bastien Ballaz (tb), Guillaume Christophel (bs, clb), Jean-Michel Couchet (as, ss), Andrew Crocker (tp), Fabien Debellefontaine (as, cl, fl), Florent Dupuit (ts, fl), Quentin Ghomari (tp, bugle), Didier Havet (tb, tuba), Rafaël Koerner (dms, perc), Frédéric Maurin (g, perc, dir), Benjamin Moussay (p, Fender, celesta), Fabien Norbert (tp, bugle), Raphaël Schwab (b), Julien Soro (ts, cl).

par Denis Desassis // Publié le 26 décembre 2011

[1Après Club 189, 2008, et Random Issues, 2009.

[2On notera la qualité du livret, avec son poster dépliant proposant de pétillants portraits photographiques signés de notre collègue Christophe Alary.