Big One

C’était il y a bientôt trois ans : le pianiste compositeur arrangeur chef d’orchestre… et autres casquettes multicolores, Stan Laferrière, avait entrepris de raconter l’histoire des big bands des origines à nos jours en composant « à la manière de » un répertoire original en forme d’hommage à ces grands ensembles. Il s’était appuyé à cette occasion sur le savoir-faire et la fougue de Big One, une formation derrière laquelle se cache à peine le Big Band de la Musique de l’Air, dont il a assuré la direction depuis 2005. Un beau travail à vocation tout autant artistique que pédagogique, qui avait abouti à l’album A Big Band Jazz Saga, paru chez Frémeaux & Associés.

Selon le principe « on prend les mêmes et on recommence », le chef remet le couvert pour une entreprise dont la visée historique, et toujours pédagogique, n’échappera à personne, mais qui lui permet avant tout de déployer ses talents d’arrangeur. Sur le grill de son imagination fertile : Les Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky. Autant dire qu’après la version originale pour piano et ses dix thèmes, reflets d’une déambulation dans un musée, puis différentes adaptations pour orchestre dont celle, la plus fameuse, de Maurice Ravel en 1922 ; après bien d’autres encore dont quelques adaptations aux couleurs du jazz, voire du rock progressif (Emerson, Lake & Palmer), il fallait avoir quelque chose de consistant à proposer.

Qu’on se rassure, il y a beaucoup à entendre dans cet enregistrement réalisé en 2016. D’abord parce que le travail de Stan Laferrière – celui d’un orfèvre en la matière – est porteur d’une jubilation qu’il sait communiquer aux quinze musiciens de Big One. Les arrangements sont luxuriants, la puissance et la vélocité du big band sont impressionnantes et ses solistes d’une remarquable justesse. On savoure avec beaucoup de gourmandise cette capacité à manifester leur enthousiasme sans pour autant prendre le risque de la note superflue. Comme on le ferait face à un tableau – c’est la moindre des choses dans ce cas – chacun pourra prendre du recul pour apprécier la richesse et le souffle épique de l’ensemble ou s’en approcher afin d’apprécier chacun des détails.

Mais surtout, le supplément d’âme de ce projet collectif se niche dans la présence de six variations pour piano dont le maître d’œuvre est un autre pianiste, ami du patron, Pierre de Bethmann. Moussorgsky décrivait la visite d’une exposition tout au long d’une promenade, chaque thème correspondant à un tableau. L’invité du jour, au-delà de l’effet de contrepoint qu’impose son jeu intimiste face à la masse orchestrale, semble venir nous faire part de ses impressions au fil de la promenade, à la manière d’un guide. Ses insertions, concises et oniriques à la fois, participent pleinement au sentiment de plénitude qui émane de cette déambulation actualisée des Tableaux d’une exposition. Pari réussi pour « Captain Stan » !