Chronique

Bora

Blasts of Change

Alípio Carvalho Neto (sax, objets), Gal Furlan (dms, perc), Zlatko Kaučič (perc)

Label / Distribution : Klopotec

On sait Zlatko Kaučič ouvert à des projets radicaux, où la tension est extrême, où toutes les surfaces sensibles de ses percussions, parfois de simples pierres, sont mobilisées pour faire face au chaos. C’est ainsi qu’on l’a entendu dans son quintet, même s’il était là sur son terrain. Avec des forces en présence plus radicales encore, il faut s’attendre à un tangage plus accentué. Le chaos ici se dessine avec un double compatriote : slovène, Gal Furlan l’est manifestement. C’est aussi un ressortissant du pays des batteurs, et le premier set de Bora : Blasts of Change nous confirme que tous les papiers sont en règle. Pendant que Kaučič joue la profondeur, fait sonner sa cithare comme un sonar sonde les abysses, Furlan fouine, creuse toutes sortes d’excavations. Sa batterie est un soc, et la terre n’est pas meuble. Elle est sèche, dure, caillouteuse et le choc du métal sur les pierres génère toutes sortes d’étincelles.

Pour ajouter à l’instabilité ambiante, rien de tel qu’un stentor. C’est le Brésilien Alípio Carvalho Neto qui joue ce rôle ; l’alto déchire la masse de silence qui se crée entre les deux rythmiciens. Les anches sifflent et concurrencent les frappes aléatoires sur la cithare, qui bénéficie d’un écho étudié. La sensation du son est presque physique, palpable, et si c’est un triangle qui se forme entre les protagonistes, il est mouvant, protéiforme et ses angles sont aigus comme des lames. La surface est brute et rêche, toutes les forces sont jetées dans la bataille. Neto n’est pas très connu dans l’Hexagone, mais il a à son actif maintes collaborations avec les improvisateurs en Italie où il est installé depuis de nombreuses années. On le retrouve souvent avec le pianiste Giorgio Pacorig. On l’a aussi entendu avec Giancarlo Schiaffini dans un hommage à Alvin Curran. Sa proximité avec l’expression contemporaine en fait un allié de choix lorsque « Bora » s’apaise, se construisant autour d’un bourdon électronique.

On songe parfois à certains chemins empruntés par Akosh S., notamment lorsque des sifflets viennent entonner une pastorale sombre et inhospitalière. Le grondement des percussions tonne, on a le sentiment d’évoluer sur une ligne de crête où tout peut être soudain reversé, et où la touffeur de l’air pèse comme jamais. C’est une expérience puissante, étrange, dont on sort fortement chamboulé et qui consacre les deux batteurs slovènes comme des incontournables de la scène européenne sur le label Klopotec qui souligne une fois de plus l’importance de l’Europe Centrale dans la diffusion des musiques de marge.