Chronique

Clover

Paradigme

Alban Darche (ts), Jean-Louis Pommier (tb), Sébastien Boisseau (b)

Label / Distribution : Yolk Records

On avait parlé d’étreinte à l’occasion de la sortie de Vert Émeraude, le premier album de Clover paru il y a tout juste un an, entre deux confinements. Étreinte parce que le besoin de se retrouver ; étreinte aussi parce que les déplacements entravés ravivaient la nécessité de confort et de famille. Avec Paradigme, second enregistrement datant de l’été, c’est également ce qu’il en ressort : une intimité telle entre le saxophone d’Alban Darche et le trombone de Jean-Louis Pommier que ça se passe d’explications. « Laisse aller » [1], qui ouvre le disque - paru chez Yolk et superbement orné de flamants roses en clair-obscur - en est un parfait exemple : Pommier propose un cadre autour duquel le ténor de Darche se love, lié par les pizzicati de Sébastien Boisseau, remarquable dans ces climats qui privilégient la simplicité.

Cette simplicité, elle se fixe jusque dans les instruments. Alban Darche a laissé de côté sa clarinette : seul le ténor est de sortie. Le trombone joue clair, sans effet, avec juste le plaisir de la scansion quand « Canevas » s’en vient rendre la pareille à « Laisse aller ». Il y a un plaisir évident du motif répété qui s’impose comme un mantra et vient donner à cette musique des allures de danses invisibles dans les petits espaces de morceaux assez courts, réduits là aussi à leur plus simple expression. En témoigne « La Sensation du temps », beau morceau écrit par Alban Darche, presque naturellement tant il touche à un domaine qui le hante au moins depuis l’Orphicube : une volonté de donner corps à l’intangible, de solidifier les souvenirs. Il signe la plupart des morceaux et en à peine trois minutes touche des surfaces sensibles - une poésie de l’instant, petite mécanique familière sublimée par l’archet de Boisseau.

« Paradigme : Ensemble des formes que peut prendre un élément », nous dit le dictionnaire. Ce n’est pas que le titre de l’album. C’est un manifeste, qui s’expose avec clarté dans le morceau-titre. « Paradigme » est une tournerie collective dont Jean-Louis Pommier s’échappe le premier comme pour mieux redonner de l’élan à la dynamique collective qui semble décliner toutes les formes possibles de ce trio sans batterie à mesure que l’ostinato revient à la première note. Et puis les choses semblent se déliter, avant de très vite épouser d’autres rêves, comme des émotions à mémoire de forme. Un très beau disque qui finit de sceller une amitié ancienne mais irréfutable.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 novembre 2021
P.-S. :

[1Qui n’est pas une valse.