Chronique

Costa / Moritz / Ali

Estuary

Jonathan Moritz (ts, as), Sean Ali (b), Carlo Costa (dms, perc)

Label / Distribution : Neither Nor

Avec Natura Morta où l’on retrouvait le violoniste Frantz Loriot, le percussionniste Carlo Costa, au sein du même label Neither Nor, avait déjà approché la dimension organique du son. Celui des organismes vivants, de ceux qui grouillent et se multiplient, de ceux qui n’ont pas forcément conscience mais se heurtent aux autres et génèrent indifféremment de l’ordre et du chaos. C’est sans doute dans son trio contrebasse/saxophone que la recette fonctionne le mieux : avec Jonathan Moritz aux anches rêches et caillouteuses telles qu’on les a déjà entendues chez Formanek (Doomsayer), il a l’expérience de son orchestre Acustica. Dans « Aperture », le premier morceau de Estuary, il s’extirpe d’un bouillonnant échange entre les percussions et les cordes de la contrebasse de Sean Ali. Pas entier, certes, largement altéré, mais tout en force.

La relation entre Costa et Sean Ali est ancienne, on peut même dire qu’elle est la colonne vertébrale de la plupart des projets du rythmicien. On peut de nouveau rappeler Natura Morta où Loriot était l’ingrédient instable : Estuary fouille d’autres terrains, et s’il est question d’Estuaire, c’est pour ce mouvement turbide dans lequel le saxophone se noie à intervalles irréguliers, ballotté par des flots qui ne semblent en faire aucun cas. La contrebasse de Sean Ali est impavide, l’archet glisse avec une lenteur qui n’enlève rien au caractère inexorable de la vague. Au milieu de tout cela, Carlo Costa ponctue, souligne, fait clapoter les flots et laisse entrer le silence des abysses.

Carlo Costa et ses amis parviennent à habiter une atmosphère qui leur est absolument propre. Elle se joue des formations, qui peuvent évoquer, comme celle-ci, certains canons classiques du free jazz pour faire sonner une musique aux franges de tous les spectres, résolument sauvage dans son approche sans pour autant s’avérer violente ou hostile. Au contraire, ce qui palpite dans Estuary, c’est une pulsion de vie qui joue de ses codes avec une sincérité à ne pas prendre comme un charme désarmant, mais davantage comme un état de nature dans lequel il fait bon s’installer.

par Franpi Barriaux // Publié le 31 janvier 2021
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