Le jazz a sa tribune depuis 2001

Edition du 15 avril 2024 // Citizenjazz.com / ISSN 2102-5487

Les dépêches

Festival Sonorités



  • jeudi 12 octobre
    20h30
    concert-poésie
    Amanda Stewart : voix/texte
    Jean-Luc Guionnet : saxophone/électroacoustique

La rencontre entre Amanda Stewart et Jean-Luc Guionnet
est inédite, et la création sonore qu’ils se proposent d’élaborer
pour Sonorités se fera sur trois moments distincts, au cours
desquels ils entremêleront leur extrémité esthétique ; Amanda
Stewart, celle de son écriture, asyntaxique et cependant
lumineuse dans ses agglomérés de lettrages :

“disjunctioncontradictionimpasseBetweenTheutteredTheheardt
hesounDedreCordedrememberednotatedprogrammedwrittenthesaidmadextrainterdeterminateextraintersubjectivecontextusefieldotherexcha
geintimatedistancesensitivedoubtherubofparadigmsgapstensions”,

et Jean-Luc Guionnet, la radicalité
de son jeu instrumental couplée à sa pratique électroacoustique
 ; car comme celui-ci le dit, il faut “qu’un ou des extrêmes
s’imposent si l’on veut que quelque chose balance dans tout ça”.
Leur concert tripartite fera donc “balancer” l’espace du festival
entre le studio Bagouet et ses abords immédiats, à la façon
de durées hors-champ, obstinées, radicales et pénétrantes.
lecture

Valère Novarina : texte

La langue de Valère Novarina est “furieuse”, horizontale, “carnative”.
Depuis ce temps, au moins, où elle parle le “discours
des animaux”, cette langue a sans cesse réinventé sa justesse
d’exposition publique : que ce soit sur un plateau de théâtre
où elle s’offre avec la nudité mate de la parole “épaisse”, granuleuse
et liquide - et sur une page de livre (qui est encore
une autre forme de théâtre), où cette langue nous apprend à
vertigineusement “languer”, selon un de ces néologismes
impulsifs que l’écriture de Novarina suscite sans arrêt. Pour
tout cela, cette écriture est une parfaite prémisse au tressage
de sons et de textes que sera Sonorités : elle nous montrera la
façon - parmi d’autres possibles - dont une langue peut “bruire
de sens”, en choisissant par exemple de se tapisser de peaux
lexicales qui granulent à l’oreille, et articulent, du coup (pour
celui qui l’écoute) une autre manière de penser, de percevoir
les afflux bruts de la vie. Enfin, c’est la rocaille organique qui
compose cette langue, et où font comme s’arracher, in vivo,
des volumes théoriques, c’est tout cela qui va ouvrir Sonorités

  • au sens profond du verbe - pour lui insuffler le modèle d’une
    vitalité permanente, faite de vitesse et de temps morts,
    d’énergie charnelle et de reculs profonds et abstraits.

installation-concert / pendule
Man’Hu : constructrice, décoratrice
Jéranium : musicien, mécaniste

De prime abord, l’installation de Man’Hu et Jéranium a tout
d’une orfèvrerie merveilleuse telle qu’on peut la voir dans
les miroirs des romans de Lewis Carroll : monumental,
le mécanisme qui l’anime, en effet, est aussi bien articulé
par un vaste échafaudage que de minuscules pièces : boulons,
balles, billes, etc. Seulement, et à la différence du romancier
cité plus haut, rien n’est moins nonsense que ce Pendule, qui
forme tout au contraire une installation des plus pragmatiques
et lucides : “comment créer du son en se passant des
instruments imposés par nos usages culturels ?” Jéranium
et Man’Hu répondent à cela simplement, avec une gentillesse
désinvolte et libertaire - puis avec aussi quelque chose qui touche
à l’érudition, à une science des sons (chaque mouvement
ayant son individualité sonore) : une science aussi concrète
qu’utopique - en tous les cas : praticable par tous.

  • vendredi 13 octobre
    16h
    positionnée

Direct Radio depuis le CCN, débat public autour des questions
liées à la diffusion et à l’économie de l’art ; diffusé en direct
sur Divergence FM 93.9 et en streaming sur le site
http://www.divergence-fm.org/

causerie (19h)
Jean-Kristoff Camps : “Le journal d’information parlé”

“…Vous vouliez être à l’heure pour le concert - du coup,
vous étiez dans les transports au moment du journal télévisé

  • et vous avez loupé les informations - Zut ! Je remédie à ce
    souci. Le “journal”, je l’ai enregistré, et propose d’en écouter
    des extraits. Ainsi, je résume le journal avant le concert
    du soir. En fait de résumé, cela risque bien d’être plutôt un
    commentaire, et peut-être même un commentaire du journal
    de la veille, car la tendance à l’amnésie semble se développer.
    Alors, des informations, vraiment… ? Spécialement
    sur les “producteurs” de ces dites informations : Bertelsmann,
    Bouygues, François Pinault, Vivendi Universal, Lagardère,
    Dassault, Wendel investissement. Ces propriétaires - d’un
    quasi monopole - de télés, de radios, de journaux et magazines,
    de disques, de films, de nos lectures, de nos dictionnaires,
    de l’eau de notre robinet… bientôt de nos rêveries et nos
    imaginaires. Les futurs producteurs de notre quotidien,
    si on n’y prend garde”.

20h30
concert-poésie
Amanda Stewart : voix/texte
Jean-Luc Guionnet : saxophone/électroacoustique

voir jeudi 12 oct
lecture
Jérôme Game : texte, son

Où comment le noise gate arrive à l’écriture : tel pourrait
être le sous-titre de ce nom. Le noise gate (le bruit, l’épaisseur
d’une coupe dans le texte) en lieu et place du cut up jadis
cher aux Beats. Autrement dit, cette langue s’interroge,
et nous interroge : qu’arrive-t-il à l’écrit dès lors qu’il se trouve
en quelque sorte perforé par ses propres capacités ? Jérôme
Game use de son stylo comme d’un plug-in, et ses phrases
en ressortent cassées, comme luxées en leurs possibilités
syntaxiques. Il faut donc s’attendre, au contact de cette écriture,
à l’émergence d’un sens hors du commun, où la clarté prolifère
à coup de heurts, de bruits et de cassures.

concert
Isabelle Duthoit : clarinette, voix
Jacques Demierre : piano

Le duo formé par Isabelle Duthoit et Jacques Demierre
n’imagine pas le concert comme un cadre confortable ;
il faut au contraire que de l’une à l’autre de leurs présences
sur scène, la musique détrace, désinscrive, ne capitalise pas.
Ainsi le piano de Jacques Demierre bascule sans cesse vers
“l’objet” absolument nouveau dont il nous fait oublier le poids,
le passif toujours-déjà canonique. Et il en est de même pour
la voix et la clarinette d’Isabelle Duthoit : la matière sonore
s’y éraille, y implose en des sortes d’espaces indéfiniment
imbriqués. L’ensemble produit une tessiture percée de heurts,
de brisures, d’ondes en éclats.

concert
Fabrice Eglin : guitare
Jérôme Noetinger : revox
Guitare input Revox.

Jérôme Noetinger et Fabrice Eglin n’aiment pas les virgules,
s’ils s’attaquent au phénomène amplifié ils y mettent un
poing commun ! Ici, c’est le dispositif, dans sa simplicité
mate, qui crée la musique : il y a bien deux musiciens sur
le plateau - Fabrice Eglin et Jérôme Noetinger - mais un seul
instrument - la guitare input revox -, et le tout ne forme pas un
duo, un trio ou une tout autre forme cataloguée dans le répertoire
des combinaisons musicales. Il n’y a même aucune virtuosité
instrumentale, concurrentielle qui les sépare ou les unit ;
pas même une hiérarchie diffuse : ils sont simplement installés
de part et d’autre de la guitare input revox et jouent avec elle
d’une confrontation directe, live avec l’art de fabriquer
du sonore.

De cet accord fondamental surgit une boule
de doigts prête à rompre l’écoute- si elle se gèle.
sonorèmes de nuit
espace de libre improvisation ouvert à tous
Christian Déric & Sumako Koséki
Rencontre sur la surface partagée d’un buto haut placé.
Le buto est une danse qui s’inscrit dans la tension de l’être là,
un phénomène de société et de langage, une rébellion
de la chair contre le rationalisme moderne, une résistance
à la bienséance dont le rire et la dérision ne sont pas absents.
Sumako Koséki & Christian Déric : Sumako Koséki, immense
danseuse buto, crée un somptueux pli de recherche autour du
texte : dans ce creux subtil, elle pose le mot comme un acte.
Paradoxe d’un “théâtre sans texte” où la voix parle en dedans,
où le corps résonne de mots, de cris suspendus dans le vide.
Sa poétique est tout à la fois empreinte de la légèreté de
l’instant et de la profondeur du temps. Pour Sonorités,
elle a désiré rencontrer le danseur-performeur Christian Déric,
membre de l’association Sonorités. Concis, aux aguets,
Christian Déric évoque le mot par la tactilité et l’humour
de ses résonances corporelles.

  • samedi 14 octobre
    14h
    positionnée (de 14 h à 18 h) : art et politique, débat
    Interrogation collective et publique sur les pertes de sens
  • social et politique - de l’art avec la présence d’Anne Fave,
    socianalyste.

performance (19h)
Yves Pagès : “Pouvoir Point”

Conférence rétroprojective suivie d’aucun débat.
Un leader d’opinion éditorial et P-D.G. du groupe LIBRENVIE,
Jean-Michel Michel réunissant ses proches collaborateurs
pour s’inter-congratuler et fêter comme il se doit les dernières
mutations en cours, développe ses thèmes de prédilection
managementaux, à l’aide de nombreux schémas et slogans
projetés sur écran. Il finit par déraper à mesure vers un éloge
libéral-libertaire du “flou tendu”, de la fractalité économique,
de la pixélisation du désir. Son mentir-vrai épouse alors phrasé
schyzo-totalitaire de notre ère irrespirablement le plus libre.
Comme le bluesait la junkie en sursis Janis Joplin :
“Ô Lord, won’t you give me a mercedes Benz ?!”

20h30
rencontre improvisée
Amanda Stewart : voix/texte
Jean-Luc Guionnet : saxophone/électroacoustique
Sumako Koséki : danse
Christian Déric : danse
lecture
Caroline Dubois : texte

L’écriture de Caroline Dubois s’est inventée une langue fragile,
mais cela avec une puissante singularité : à la lire, comme
à l’écouter, on sent que cette langue, si friable soit-elle,
dans certains de ses souffles (qui ont l’allure d’effondrements
subreptices, de cassures instantanées) on sent donc que cette
langue oscille, chavire sans cesse, mais à l’intérieur clos d’une
structure précise et forte : sa syntaxe, son phraser. Le phraser
de Caroline Dubois est tout aussi inflexible que sa voix est cassable
 ; et dès lors, assister à une lecture publique d’elle, c’est
faire l’expérience de cette porosité in progress entre une voix
en quelque sorte affaiblie par l’intensité de sa présence (celle
de son corps, bien sûr, mais aussi de tout son “sujet”, de son
histoire qui affleure par trouées subites et muettes) et la syntaxe
qui “parle” cette voix, qui lui commande d’élaborer, de
continuer, de “toucher” ce “toi” qui habite son dernier livre.

lecture amplifiée
Thomas Braichet : texte, son, machines

Peut-être, Thomas Braichet est-il un genre à lui tout seul, et,
dès lors un geste qui interroge l’emprise même de cette idée.
Ni poésie, ni poésie sonore, pas tout à fait prose, pas encore
performance, et pourtant tellement situé en son écriture
comme dans sa manière si particulière de la “machiner” :
le dit de Braichet travaille à la lisière de cette déjà longue
histoire du livre et du hors livre. Et il l’amplifie. Soit : il l’électrise.
Et parce qu’il se joue des schèmes linéaires de cette histoire :
déjà, il l’électrolyse. Affaire de physique-chimie donc,
de vice versa, entre le signe, le sens, le son - et vice-versa.

concert
Vincent Epplay : électronique
Samon Takahashi : électronique

Ces deux plasticiens sonores de la scène électronique
nous proposent une interprétation libre de “Trios for VCS3
Synthesiser and two turntables, 1971” du compositeur
Tristram Cary. Celui-ci, né en 1925 en Australie, a conçu sa
musique après-guerre, dans un étrange isolement esthétique.
Réinterpréter maintenant ce travail d’une tessiture improbable
relève du défi, mais la réussite d’un tel projet tient justement
dans cette singularité offerte en partage : l’écoute du “Trios”
donne à chaque auditeur le choix d’un emportement aléatoire,
impulsé au gré de visions sonores, où le corps des deux musiciens
nous fait “voir” comment froncer, plisser une matière sonore ;
le public glisse sur ce relief imprévisible et comprend qu’une
part de cette création consiste à imaginer ce que l’écrit
a simplement ouvert.

diffusion sonore
Eliane Radigue : “L’île re-sonante”, composition
Gérard Pape : diffusion

Eliane Radigue est à la fois une figure historique et précieusement
contemporaine de la “musique sur support”. Minimaliste, son
travail d’écriture fait comme dénouer la perception du temps
de toute tension ; la durée redevient, avec ses compositions,
une phénoménologie fine, s’étirant avec douceur jusqu’à
former une enveloppe sonore, concrète et floue, proche
d’une sensation climatique. Invisible, la main de la compositrice
libère la légèreté durative d’un son, telle qu’elle peut se tenir,
fragile et ténue, entre deux fréquences. Pour elle, Gérard
pape diffusera “l’île re-sonnante”, une pièce créée en 2000,
et qui fut la dernière œuvre électronique d’Eliane Radigue
(puisque celle-ci se consacre désormais à l’exploration
instrumentale). Émargée du silence, la musique de “l’île
re-sonnante” se love contre la durée, et en vient à devenir
elle-même une sorte de silence.

Commencé avec “l’espace furieux” de la langue de Valère
Novarina, Sonorités s’achèvera donc avec la musique pensive
d’Eliane Radigue, cela non pour mimer le déclin des forces
(aller de l’énergie bandée au repos délassant), mais pour
entrelacer la furie de toute écriture à la douceur de sa réception.
Premier temps et dernier temps du festival vont ici de pairs :
ce sont juste différentes facettes d’un même volume,
celui de la création sonore.