Chronique

Francis Bebey

Dibiye

Francis Bebey (g, sanza, fl, voc) Patrick Bebey (perc, sanza, fl, voc), Toups Bebey (perc, saxes, voc) Noël Ekwabi (b)

Label / Distribution : PeeWee !

Petit souvenir avant toute chose. Quand on a la quarantaine, il y a des chances pour que l’on ait entendu Francis Bebey pour la première fois au milieu des années 90 sur les ondes d’une radio associative ou, si l’on habitait dans la zone de captation, sur Radio Nova. En général, c’était « La Condition masculine », sur un album du même nom sorti en 1976. Sur la radio HDR où officiait l’auteur de ces lignes, c’était « Agatha » qui tournait en programmation, un morceau paru sur le beau Fleur Tropicale, dans le milieu des années 70. A cette époque, les premiers disques de Bebey appartenaient à une aristocratie de collectionneurs vinyliques qui partageaient avec une parcimonie seigneuriale les chansons caustiques de ce pionnier de la sono mondiale, accompagnées de ses recherches rythmiques, sa virtuosité de cordes, ses sons électroniques et ses paroles émancipatrices. Bebey est mort en 2001, en écrivain et journaliste camerounais reconnu, pionnier (encore) de RFI. Mais il a fallu attendre les années 2010 pour qu’il revienne chanter aux oreilles oublieuses, notamment grâce au label Born Bad Records (African Electronic Music (1975-1982), Psychedelic Sanza (1982-1984)), puis grâce à Rocé dans son prodigieux travail de mémoire où Bebey chantait « On les aime bien », chanson à l’anticolonialisme goguenard et salvateur.

Il y a toujours un chaînon manquant. Et c’est la renaissance du label PeeWee ! qui nous le rappelle, grâce à la réédition de Dibiye, qui tournait aussi beaucoup sur les radios dénicheuses en 1998. Un disque qui collait à l’époque, à l’image de « Dibiye » - le morceau-titre - , avec cette flûte pygmée qui offre de magnifiques polyphonies sur une rythmique complexe, d’une fluidité folle. Un disque qui, à la réécoute, n’a pas pris une ride et pourrait être tout frais sorti d’un studio. C’est peut-être même maintenant, plus de vingt ans après, que l’on en perçoit toute l’importance. D’abord, il y a cette magnifique complainte de cordes, ce « Stabat Mater Dolorosa » en forme de rumba, musique de chambre africaine qui s’affirme comme un hymne antiraciste. De la même façon, on est surpris, ou plutôt conforté par la justesse d’un morceau comme « Sangara » qui clôt l’album avec cette douceur un peu amère qui caractérisait la musique de Bebey dans ses dernières années.

Est-ce la force de la nostalgie ? Sans doute un peu, mais c’est si difficile de trouver des défauts à Dibiye ! Impossible de l’accueillir sans arborer un grand sourire. Impossible de ne pas voir à quel point Bebey a influencé des musiciens de tous les continents. C’est une épiphanie, d’autant que pour sa renaissance, le label PeeWee lui offre ses plus beaux atours. Des habits neufs qui s’admirent d’autant mieux sur son support physique, avec un livret conséquent, une interview de l’artiste et surtout quelques inédits comme ce « Essok Am », tournerie qui renoue avec ce groove électronique qui a fait la renommée de Bebey. On tient surtout avec Dibiye l’album le plus abouti d’une discographie que le numérique avait réussi à reconstituer de manière parcellaire. Grâce à cela, ce qui était jusqu’ici l’un des secrets les plus jalousement gardés de la musique africaine et de la chanson francophone s’ouvre à toutes les oreilles. Il y a de quoi se réjouir ; et que les collectionneurs se rassurent, il reste encore toute la première période, antérieure à 1975, à défricher. Mais pour les vingt ans de la disparition de Francis Bebey, Dibiye revient à point nommé.

par Franpi Barriaux // Publié le 6 juin 2021
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