Sur la platine

Music Migrations

Les chants des damné.e.s et des motivé.e.s


A l’occasion de l’exposition du Musée National de l’Histoire de l’Immigration intitulée Paris-Londres 1962-1989 : Music Migrations que Citizen Jazz vous incite chaudement à aller voir même s’il y est peu question de jazz, petit détour sur deux disques de compilations qui approfondissent le sujet du côté francophone et font une large place aux tentations Free Jazz.

Sorti il y a quelques années sur l’impeccable label Born Bad Records qui s’attache à dénicher des perles dans la musique underground des décennies de la Pop Music, Mobilisation Générale permet de découvrir quelques perles revendicatives ou poétiques, à l’instar de cette poésie de Bachir Touré avec le flûtiste Michel Roques : « Le Cri » paru en 1972. Si certaines bandes-sons de luttes historiques paraissent aujourd’hui un peu datées [1] (Atarpop 1973 & le Collectif du Temps des Cerises et son « Attention… L’armée »), c’est surtout l’occasion de se remémorer les collaborations de François Tusques avec le Collectif du Temps des Cerises dans un magnifique « Nous allons vous conter… » en défense des droits des travailleurs immigrés.

Un travail salutaire et indispensable qui fait œuvre de mémoire et de réveil

Le travail mené par le rappeur Rocé pour son disque Par les damné.e.s de la Terre est d’une toute autre envergure. Travaillé avec deux historiens [2] qui écrivent un livret passionnant et très documenté, le disque est une somme de travail et de curation qui - pour reprendre les termes de Rocé lui-même - « (Re)donne la voix aux jeunes générations qui évoluent en France avec une absence d’identification, un oubli de l’histoire de leurs parents dans le paysage historique et culturel qu’elles traversent en grandissant ». On sait Rocé féru de jazz, et on ne sera pas étonné d’entendre « Je suis un sauvage » d’Alfred Panou avec l’Art Ensemble of Chicago, mais aussi « La Pieuvre » de Colette Magny, dont il est un grand amateur.

A travers des chansons qui racontent une époque et peuvent même s’avérer d’une brûlante actualité (on ne peut que conseiller l’écoute répétée du groove lourd de « La Logique du pourissement » de Joby Bernabé) s’écrit une Histoire volontairement oblitérée par les institutions et désespérément absente des manuels, tel le magnifique « After Aimé Césaire » de Dane Belany, mais à laquelle nos musiques auront largement contribué. Un travail salutaire et indispensable qui fait œuvre de mémoire et de réveil.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 avril 2019

[1Le disque s’attache à la période 1970-1976, le Larzac est donc omniprésent.

[2Naïma Yahi et Amzat Boukari-Yabara, NDLR.