Chronique

Fred Nardin Trio

Live In Paris

Fred Nardin (p), Or Bareket (b), Leon Parker (dms).

Label / Distribution : Jazz Family

S’il est un exercice que le chroniqueur peut redouter, c’est bien celui qui consiste à rendre compte d’un album en trio, dans la formule piano - contrebasse - batterie. Parce que l’histoire du jazz abonde en formations légendaires dont les prestations, en studio comme sur scène, sont autant de leçons parfaites où sont exposés les talents (et parfois les génies) respectifs de chacun des musiciens, la richesse de leurs interactions, leur sens de l’écoute réciproque et la circulation des énergies. C’est un peu comme si tout avait été dit.

Aussi les 90 minutes de ce Live In Paris, enregistrées au Sunside (Paris) au mois de février 2020, constituent-elles un défi supplémentaire pour les musiciens et, dans une moindre mesure, pour celui ou celle qui doit en rendre compte. Et si l’on se prend à imaginer que Fred Nardin, Or Bareket et Leon Parker, mus par un mystérieux sixième sens, avaient deviné la période trouble que le monde allait traverser quelques semaines plus tard, alors bien des choses seraient éclairées par cette prémonition. Parce qu’il y a quelque chose qui sonne ici comme une évidence, une étonnante libération avant confinement, un « carpe diem » par anticipation. On sait que ces trois-là constituent une équipe parfaitement rodée, déjà à l’œuvre sur les albums Opening (2017)et Look Ahead (2019), soit deux moments de musique jubilatoire que nous avions mis en évidence ici même et qui sont très largement représentés au cours de ces deux sets réunis en un seul (et double) album. Live In Paris est la restitution d’une sorte de soirée idéale ; il est l’occasion aussi d’ajouter quelques pépites signées Thelonious Monk, Kenny Barron ou Ornette Coleman, histoire de bien rappeler d’où l’on vient. Pour ce qui est de l’interprétation d’un répertoire où se mêlent reprises et compositions originales, force est de reconnaître que si Fred Nardin s’inscrit ici dans un classicisme jazz revendiqué, sa volubilité associée à une maîtrise totale du vocabulaire emporte l’adhésion, sans la moindre réserve. C’est un sans-faute. Son objectif est bien de dépouiller la musique de tout superflu, de creuser un sillon maintes fois labouré et d’exprimer une plénitude qui est peut-être celle de sa vitalité alliée à une virtuosité incontestable. Ses deux compagnons ne sont pas en reste, d’une solidité à toute épreuve et, pour ce qui concerne Leon Parker du moins, capables de faire beaucoup avec peu. Sa batterie est réduite au strict minimum : caisse claire, grosse caisse, une seule cymbale, et rien d’autre. Ce qui ne nuit en rien à la force d’une présence de chaque instant et constitue une sorte de défi dans le défi.

Live In Paris se révèle un disque sans âge en raison de la nature même de sa matière première et pourtant très actuel du fait de sa proximité. Il est le fait de musiciens qui vous attendent, fiévreux et endiablés, au détour d’une scène, prêts à dégainer leur conversation en liberté. Pour ne citer qu’un seul exemple, allez donc résister à l’attraction mélodique et aux échanges qui traversent une composition telle que « In The Skies », signée Fred Nardin et qui, pourtant, a des allures de standard. C’est à s’y tromper… Une nouvelle et belle leçon de jazz, donc.