

Grand, Nebbia, Sánchez, Mendelhall, Fernández
Altered Visions
María Grand (ts, voc), Camila Nebbia (ts), Marta Sánchez (p), Kanoa Mendelhall (b), Iago Fernández (d)
Label / Distribution : Lilaila
C’est un instant que, peut-être, seule la musique improvisée sait retranscrire. La question de l’amitié, de l’intimité saillante qui unit les protagonistes de ce « Wild Marks » qui occupe tout le disque Altered Visions. Des visions altérées par un filtre invisible qui avive les couleurs. C’est tangible lorsque la saxophoniste María Grand chante de cette voix à la fois douce et puissante, jumelle de son saxophone. Mais aussi lorsqu’elle échange avec Camila Nebbia, chacune sur un canal, dans une opposition de style qui bâtit totalement le propos de ce disque. Souvent au bord de la rupture, le quintet ne quitte jamais la ligne d’un jeu collectif incarné par une base rythmique soudée. La contrebasse de Kanoa Mendelhall et le piano de Marta Sánchez offrent un magnifique cadre aux saxophonistes mais aussi un dialogue très profond autour de la voix de María Grand dans le dernier tiers du morceau.
On pourrait parler de sororité tant la relation entre les quatre musiciennes est forte. La présence du batteur espagnol Iago Fernández n’est d’ailleurs pas antinomique, tant il agit en allié ponctuant, soulignant et accompagnant la parole collective de ses camarades. Mendelhall et Sánchez sont des proches de María Grand, et sa relation avec Sánchez a tous les atours de leur album de duo, Anohin. La pianiste espagnole jouit d’une grande liberté, sa main droite pérégrine autour de la voix de Grand qui monte à mesure que le ténor de Camila Nebbia se prend à bouillir, avec sa générosité habituelle. La contrebassiste japonaise, présente sur le très beau Reciprocity paru en 2022, est alors l’élément solide quoique discret qui maintient l’emballement de Nebbia parmi les cris de Grand dans une ligne commune.
Enregistré en deux prises [1] et une poignée d’heures entre deux avions, à Bâle, en Suisse, Altered Visions parvient à témoigner de ce goût d’impromptu, comme volé à l’horloge. Il y a une telle grâce dans l’approche de María Grand, à l’origine de cet orchestre, que tout s’agence avec un grand naturel et une touche de poésie. « Clumsy Beauty Of Humanity » [2] susurre la chanteuse au cœur du morceau : on ne trouvera pas meilleure définition à cette musique raffinée . Cet album est le premier d’un nouveau label, Lilaila, cofondé par Nebbia, Grand et Sánchez et au destin appelé à de nombreuses aventures, peut-être autour d’un quatuor de saxophones entièrement féminin. Sororité, on vous l’a dit.