Chronique

Jean-Brice Godet

Epiphanies

Jean-Brice Godet (cl, bcl, elec, objets)

Label / Distribution : Gigantonium

C’est un joli mot qu’épiphanie, parce qu’il suggère à la fois une vérité et une croyance. Du tangible et de l’indicible. La compréhension et le mysticisme. Un concept mouvant et parfois abstrait, rien de plus étonnant lorsque l’on sait que celui qui le manie est le clarinettiste Jean-Brice Godet. Le même qui, il y a quelques années, nous proposait avec Mujô de plancher sur l’impermanence en quartet. Là c’est en solo, accompagné par des dispositifs à bandes (magnétiques et FM…) que Godet nous plonge dans son univers. C’est parfois ardu, mais une poésie du son s’expose, comme dans « Petit poème symphonique », construction faite de cliquetis qui s’organise peu à peu et se révèle bien plus profonde qu’il n’y paraît. On se souvient que le soliste faisait partie du quartet WATT, qui cherchait tout le raffinement et l’expression d’une note tenue. Ici, c’est au contraire dans la multiplicité des paroles, dans l’esprit d’escalier de « Well You Know » lorsqu’une voix d’outre-micro vient converser avec la clarinette basse, ou même dans le souffle plein de vie et de scories de « Dans la matière », que la poésie s’exprime. Elle est avant tout très personnelle.

Construire un solo n’est pas chose aisée. Il faut se raconter, se dévoiler. Abandonner tout le recul que l’on peut avoir mis sur sa musique, et le temps passé à se consacrer aux autres (Pour Godet, principalement l’ARBF de Rosilio et Aum Grand Orchestra, mais également avec Frantz Loriot…). Il convient donc de sortir ses tripes avec les ustensiles adéquats. Chercher pour se trouver, quitte à interroger le passé et à le reconstruire : c’est exactement le propos d’Épiphanies qui, sous des aspects parfois insaisissables, crayonne avec beaucoup de justesse le portrait d’un musicien entier. Dans les bribes de sons, extrait de dictaphones qui parviennent presque à prendre vie, on entend de nombreux musiciens avec qui Godet a joué, de Nicolas Souchal à Jean-Marc Foussat. Ce sont des flashs, les éclairs d’une réflexion intense qui trouve dans le magnifique « Continuum » une sorte de point de non-retour, alors que la clarinette amalgame avec force les crissements de la touche Rewind. Remarquable mise en abyme…

On ne peut s’empêcher de songer au travail que mène Braxton et auquel Godet -qui a joué avec le maître- n’est pas insensible. Si Épiphanies n’a pas la complexité de l’EEHM, il en utilise les même ressorts intertextuels dans l’adjonction de sons enregistrés. On a le sentiment que le disque témoigne d’un instant T, mais qu’au gré des humeurs, des rencontres ou des souvenirs qui font surface, tout peut être différent et la banque de sons évoluer encore. Qu’il s’agisse d’une chanson de Jacques Brel ou des bribes d’un répondeur téléphonique sur l’émouvant « L’absence », ces sons participent à une volonté de comprendre, voire d’accepter une réalité en partageant avec l’auditeur quelques spectres. Le mot est à prendre dans toutes ses acceptions : celui des esprits qui hantent, mais aussi, plus technique, des diagrammes sonores. L’épiphanie se trouve ici, dans la manifestation d’une vérité qui n’est réelle que parce qu’elle s’en tient à l’instant. Le talent de Jean-Brice Godet est de la capter, un peu comme on trouve la fève dans une galette. La couronne s’impose.

par Franpi Barriaux // Publié le 8 juillet 2018
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