Chronique

Jef Gilson

Jean-Charles Capon (cello), Lawrence Butch Morris (cnt), Philippe Mate (ts), Serge Rahoerson (dm)

Label / Distribution : Souffle Continu

Le groupe susnommé n’a jamais existé. Il est une chimère née de l’imagination créative du compositeur - et ici, ingénieur du son – Jef Gilson[1].
En 1976, alors qu’il prévoyait d’enregistrer Serge Rahoerson, Jean-Charles Capon et Eddy Louiss en trio, le claviériste lui fait faux-bond au dernier moment. Le violoncelliste et le batteur mobilisés, le studio réservé, il décide malgré tout de les enregistrer en sachant que le groupe n’était pas au complet. Finalement, ce seront deux membres de son big-band, Lawrence Butch Morris et Philippe Maté, qui viendront compléter la session un peu plus tard.

Quatre des cinq titres de l’album sont signés par Gilson. Le cinquième procède d’une improvisation de Capon. La musique se déploie dans une esthétique free-jazz mélodique (on n’est pas si loin des quartets sans piano d’Ornette Coleman) tout en lorgnant très ponctuellement vers le jazz-rock (« Orly-Ivato »).

Si la technique du re-recording n’était pas nouvelle, elle était (et reste) assez inhabituelle dans ce type de musique. Les improvisateurs ont besoin d’interagir les uns avec les autres et donc de s’écouter. Avec ce procédé, seul le dernier à enregistrer entend l’ensemble de ses collègues. Il peut dont parfaitement réagir, mais jamais être force de proposition. A l’inverse, le premier ne pourra que proposer et jamais réagir à ce qui n’existe encore pas. Cela s’entend. La section rythmique construit un dialogue solide et ultra-connecté, presque exclusif (dans l’acception amoureuse du terme). Les deux soufflants thématisent, complètent et ornementent. Le saxophoniste, qui est probablement passé en dernier devant le micro, se glisse confortablement dans les propositions préalables de ses compères virtuels. C’est plus compliqué pour Butch Morris qui se retrouve pris en étau entre ce qui est et ce qui sera.

Malgré ce petit bémol dû aux contraintes formelles de l’enregistrement, cette réédition par Souffle Continu est une excellente nouvelle. Non seulement elle nous donne l’occasion d’entendre quatre musiciens précieux et inspirés, mais de surcroît elle témoigne du travail trop peu diffusé de Jef Gilson.