Chronique

Joris Rühl

Feuilles

Joris Rühl (cl), Xavier Charles (cl), Jonas Kocher (acc), Toma Gouband (perc)

Label / Distribution : Umlaut Records

Après Calques, voici Feuilles. Il est difficile de ne pas faire l’analogie. Après l’esquisse, composée par Karl Naegelen et interprété par le clarinettiste Joris Rühl, voici le trait, composé par lui-même ? L’instrumentarium est différent : là où Calques allait chercher dans les cordes l’infiniment petit revendiqué par la clarinette, Feuilles a davantage les coudées franches, et Rühl s’est entouré de timbres qui font corps et suivent une ligne claire et ondoyante ; la seconde clarinette de Xavier Charles grossit le trait, suggère l’ombre, donne de l’épaisseur. L’accordéon de Jonas Kocher (voir les Phonolithes de Benjamin Bondonneau, qui regarde dans la même direction) joue au jeu des masques avec les anches, apporte un relief qu’un autre va mettre en mouvement.

Cet autre, c’est Toma Gouband et ses cailloux chantants. La pierraille qui se cogne comme un cristal au milieu des cymbales et des cloches donne à Feuille une tout autre dimension dans le premier tiers d’un morceau-titre unique, et l’accordéon s’échappe du simple trait. Sans être particulièrement coloriste, c’est la couleur qu’apporte pourtant Gouband en quelques frappes simples. Une eau-forte qui attaquerait la matière et ferait sortir les clarinettes de leur torpeur magique : le sifflement des clarinettes va cueillir les lithophones sur leur propre registre. Le bois devient pierre, résurgence d’un passé comme un fossile ?

Au centre de l’album, le ton devient effectivement plus sauvage. Presque hostile. L’auditeur est toujours transporté par un récit abstrait qui envahit pour peu qu’on s’y abandonne… Jusqu’au retour d’un silence précaire à peine souligné de pierres et légèrement inquiétant, qui laisse sur le qui-vive. Puis un nouveau trait, toujours plus brut. Fidèle au label Umlaut, Joris Rühl signe avec Feuilles un disque qui pénètre au plus profond de son univers musical que nous suivons attentivement depuis de nombreuses années et intègre un récit qui n’était que balbutiant dans son Toile Étoiles il y a cinq ans. L’œuvre prend forme et s’incarne.