Chronique

Kamasi Washington

Harmony of Difference

Label / Distribution : Young Turks

Eric Dolphy, Ornette Coleman ou Charles Mingus eurent en commun - outre leur génie créatif - d’avoir d’abord évolué loin de New York, la citée indétrônable du jazz. Cette apparente contrainte fut en réalité pour eux un précieux atout, car loin d’un certain formatage new-yorkais, tout était possible. C’est en tout cas ce dont est persuadé Kamasi Washington, qui se félicite d’être un enfant de Los Angeles, et qui perçoit sa position dans une ville ou le jazz n’est pas la spécificité locale comme une chance vers plus de liberté artistique.

En 2015, le saxophoniste fit sensation avec The Epic, un triple album de 17 morceaux - et 3 h de musique ! - au retentissement mondial. Lui qui s’était montré très actif sur la scène musicale de L.A. depuis son plus jeune âge, livrait alors un premier album grandiose qui le propulsait d’emblée sur la scène internationale. Tout en restant dans la lignée de The Epic, la musique de Harmony Of Difference s’avère moins complexe et plus directe, sans doute en lien avec sa courte durée (cette fois), puisqu’il s’agit d’un EP de 32 minutes. Une suite en 6 mouvements, créée dans le cadre de la biennale du Whitney Museum of American Art 2017, aux côtés d’un film du cinéaste espagnol A.G. Rojas et de peintures signées Amani Washington, la sœur du saxophoniste.

Nous sommes toujours dans cette ambiance sonore de grande envergure, puisée à la source du spiritual jazz et à l’orchestration riche, qui fait le style de Kamasi Washington. Et si The Epic, par sa dimension colossale, portait bien son nom, Harmony Of Difference ne pouvait également être mieux nommé, puisque la démarche de ce disque est précisément de mettre en lumière la beauté de nos différences en les associant pour en révéler le potentiel harmonique. Ainsi, « Desire », « Humility », « Knowledge », « Perpective » et « Integrity » voient leur accomplissement dans le titre final « Truth » qui utilise chacune des mélodies précédentes en les unifiant de manière subtile et réellement stupéfiante. Ce sixième mouvement démontre la force qui réside dans nos différences, admirablement signifiée par la technique du contrepoint, que Kamasi Washington résume ainsi : « l’art d’équilibrer la similarité et la différence, de créer l’harmonie entre des mélodies séparées ». La sœur du musicien procède de la même façon avec ses peintures abstraites réalisées directement sur la musique et qui figurent au livret du CD. Chacun des cinq premiers mouvements possède sa représentation picturale propre. Ils sont ensuite combinés pour illustrer le sixième et dernier mouvement, « Truth », et cet assemblage de motifs abstraits forme un visage humain.

Au delà de la prouesse de cette performance artistique, on retient d’abord et surtout de Harmony Of Difference de magnifiques compositions et des mélodies que l’on chante dès la première écoute. Un disque condensé et puissant, réellement addictif, qui confirme qu’il faut désormais compter sur ce grand compositeur et interprète dans un paysage musical aux frontières mouvantes, puisque Kamasi Washington a depuis longtemps cessé de croire aux étiquettes.

par Raphaël Benoit // Publié le 18 février 2018
P.-S. :

Kamasi Washington (ts), Ryan Porter (tb), Dontae Winslow (tp), Cameron Graves (p), Brandon Coleman (synth), Miles Mosely (b), Ronald Bruner Jr. (dms), Tony Austin (dms, perc), Rickey Washington (fl), Terrace Martin (as), Thundercat (b), Matt Haze (g), Nick Mancini (vib), Paul Cartwright (vln), Chris Woods (vln), Jen Simone (vln), Tylana Renga (vln), Molly Rogers (vln), Andrea Whitt (vln), Peter Jacobson (cello), Artyom Manukyan (cello), Thalma de Freits (voc), Taylor Graves (voc), Doctor Dawn Norfleet (voc), Patrice Quinn (voc), Jimetta Rose Smith (voc), Dexter Story (voc), Dustin Warren (voc), Steven Wayne (voc), Mashica Winslow (voc).